Cap sur le zéro déchet
Sous les éventails des manguiers de la Foire municipale de Brazzaville, la 4ᵉ édition du Salon des métiers du bois a sonné, le 11 août, une mobilisation générale : faire de chaque copeau un produit, et de chaque rebus une ressource, ambition résumée par le slogan « zéro déchet ».
« Nous devons valoriser le moindre éclat de notre forêt », a martelé la ministre Rosalie Matondo, rappelant que la filière contribue déjà à près de 6 % du PIB et emploie 30 000 personnes. Selon elle, l’atteinte du zéro déchet passera par la transformation avancée au plus près des grumes.
Un pilote gouvernemental structurant
La stratégie nationale, adoptée en Conseil des ministres en juin, établit des quotas de transformation locale graduels et crée un fonds d’appui à l’écoconception alimenté par la taxe carbone sur l’exportation de grumes. Pour les entreprises, l’accès à ces incitations suppose un plan de réduction des résidus validé par l’administration.
Jacqueline Lydia Mikolo, ministre des Petites et moyennes entreprises, voit dans cet arsenal « un catalyseur de compétitivité et non une contrainte ». Elle insiste sur l’accompagnement administratif promettant guichet unique, formations fiscales et lignes de crédit vertes négociées auprès de la Banque de développement des États d’Afrique centrale.
Jeunesse et innovation au cœur des ateliers
Dans l’allée principale du Sameb, imprimantes 3D et lasers de découpe côtoient rabots traditionnels. Les start-up WoodTech 242, Ébène Femmes ou encore BambouLab exposent des prototypes de meubles modulables fabriqués avec 80 % de sciure recomposée. « La demande urbaine pour le design responsable explose », témoigne la designer Grâce Ngouabi.
Le ministère de l’Industrie a conclu, avec l’université Marien Ngouabi, une convention pour insérer 500 étudiants en génie bois dans des PME d’ici 2025. Objectif : injecter des compétences numériques et sensibilité environnementale dans les chaînes de production encore dominées par l’artisanat familial.
Un levier de diversification économique
Le bois demeure la deuxième source de devises après les hydrocarbures. En allongeant la chaîne de valeur sur place, Brazzaville espère réduire la dépendance pétrolière et stabiliser les recettes publiques. Le FMI estime qu’une transformation intégrale des grumes générerait 200 millions de dollars supplémentaires par an.
Les acteurs privés s’alignent. Cotraco inaugure, dans la zone économique spéciale de Maloukou, une unité de panneaux MDF alimentée par des copeaux revalorisés. Groupe Sangha exploite la lignine pour produire des bioplastiques à destination du secteur agricole régional. Ces initiatives illustrent un basculement vers l’économie circulaire.
Défis environnementaux et climatiques
Le Congo dispose de 22 millions d’hectares de forêts denses, puits de carbone essentiel pour l’équilibre climatique planétaire. L’exploitation forestière durable doit donc conjuguer rentabilité et préservation. Le principe du zéro déchet réduit la pression sur les concessions et limite les brûlis, principale source d’émissions du secteur.
L’Observatoire congolais du changement climatique calcule qu’une valorisation complète des résidus abaisserait de 14 % les émissions nationales liées au bois d’ici 2030. Un chiffre compatible avec la Contribution déterminée au niveau national validée lors de la COP26, où Brazzaville fut saluée pour son « haut niveau d’ambition ».
Les partenariats internationaux se multiplient
L’Agence française de développement finance un programme de cogénération à partir d’écorces dans l’usine de Makoua. La Banque mondiale soutient, via le mécanisme REDD+, des projets communautaires transformant le bambou en charbon vert. De son côté, l’Union européenne prépare un accord VPA-Flegt pour garantir la traçabilité.
« La demande mondiale pour des produits forestiers à faible empreinte carbone est en forte croissance », analyse Benoît Aupetit, économiste au Centre de recherche forestière internationale. Selon lui, le Congo, grâce à son régime politique stable et sa base industrielle naissante, peut capter ces marchés de niche.
Perspectives et feuille de route
Les exposants du Sameb plaident pour un cadre fiscal encore plus incitatif, notamment la TVA réduite sur les produits issus de résidus. Le ministère répond préparer un décret avant la fin de l’année. Des normes volontaires, inspirées de l’ISO 14045, seront aussi déployées pour certifier l’éco-efficience.
À moyen terme, la filière vise 90 % de taux de valorisation et la création de 15 000 emplois additionnels. L’État mise sur l’éducation et la recherche pour atteindre ces objectifs, tout en poursuivant le dialogue permanent avec les partenaires techniques et financiers afin de sécuriser les investissements verts.
Dans les travées du salon, l’optimisme reste prudent. « Le zéro déchet est un horizon, pas un slogan », résume le menuisier vétéran Thaddée Ossandji. Pour lui, la réussite passera par la discipline collective, la transparence des flux de matières et l’adhésion des consommateurs à ce nouveau récit productif.