Nouveaux visages de la recherche agricole congolaise
Brazzaville, quartier Nganga-Lingolo, fin septembre. Dans une salle baignée de lumière, trois jeunes chercheurs de l’Institut Management de Brazzaville exposent leurs travaux devant un jury attentif. Autour d’eux, sacs de terre, plants de haricot et panneaux synthèses racontent des mois d’expérimentations.
L’Agence nationale de valorisation des résultats de la recherche et de l’innovation, plus connue sous le sigle Anvri, les a accompagnés de la première mesure de pH jusqu’à la relecture finale. Le financement est arrivé grâce au programme Jeunesse de l’Organisation internationale de la Francophonie, soucieuse de promouvoir l’innovation verte.
Patrick Obel Okeli, directeur général de l’Anvri, observe la scène avec fierté. « Nous voulons que la science congolaise se voit et se mange », glisse-t-il, rappelant que la production végétale nourrit déjà près de 70 % des ménages du pays, selon les données de son agence.
Des méthodologies de terrain rigoureuses
Première à passer, Christ-Offert Gabrielle Poudy Biboussi détaille un biofertilisant obtenu à partir de feuilles de Tithonia diversifolia. Injecté dans des planches de haricot vert, le mélange augmente le rendement de 38 % par rapport au témoin, tout en améliorant la structure du sol.
Sous les applaudissements, Eros El Chaidai Mongonga s’empare du pupitre. Son étude compare deux fumures : fientes de poules et boue d’étang. Après trois cycles de concombre sur parcelle expérimentale, le fumier avicole se révèle légèrement plus performant, mais la boue se démarque par sa disponibilité quasi gratuite.
Dernière à intervenir, Sagesse Delmiche Ekambi Etsa teste une décoction d’ortie, Laportea aestuans, appliquée sur la baselle. Le légume-feuille, très prisé dans les cantines de Brazzaville, affiche un gain de biomasse de 42 % et une teneur en nitrates inférieure aux normes Codex, gage de sécurité alimentaire.
Le pari des biofertilisants locaux
Les trois mémoires aboutissent à la même conclusion : moins d’engrais chimiques, plus de matières organiques. Le Centre de recherche agronomique de Loudima estime que le marché national des intrants organiques pourrait dépasser 2 milliards de francs CFA d’ici à 2030, stimulé par ce type de résultats.
« Nos sols latéritiques réclament du carbone organique, pas des sels minéraux importés », analyse le professeur-consultant Jean Mavoungou, invité par le jury. Pour l’enseignant, chaque compost produit au village réduit l’empreinte carbone des filières et renforce la résilience des petits producteurs face aux aléas climatiques.
Des notes qui ouvrent des portes
Le verdict tombe sans suspense : 17 sur 20 pour Christ-Offert, 16 pour Eros et Sagesse, toutes deux félicitées pour leur rigueur statistique. Mais plus que la mention, c’est la visibilité qui compte. Plusieurs coopératives urbaines approchent déjà les lauréats pour reproduire leurs protocoles.
Pauline Milandou, présidente de l’Union des maraîchers de Talangaï, se montre enthousiaste. « Si le compost d’ortie tient ses promesses, nous pourrions réduire nos dépenses en engrais de moitié dès la prochaine saison », confie-t-elle, calculant un gain potentiel de 120 000 CFA par hectare.
Une synergie Anvri-OIF-IMB au service des territoires
Le programme Agritech, piloté par l’Anvri, cible les innovations facilement réplicables. Vingt-deux projets similaires sont actuellement incubés, dont six portent sur la revalorisation de déchets organiques. Chaque chercheur dispose d’un micro-financement, d’un accès aux serres expérimentales et d’un mentorat assuré par un ancien lauréat.
« Nous misons sur des solutions qui parlent aux communautés », explique Grâce Makaya, cheffe de projet à l’Anvri. Selon elle, la co-construction avec les producteurs reste la meilleure garantie d’adoption. Les étudiants passent donc du laboratoire à la parcelle, carnet de terrain à la main.
Des retombées économiques déjà palpables
Un premier débouché a surgi à Makabandilou, où une jeune pousse baptisée Bio-Kivu conditionne le fertilisant à base de Tithonia sous forme de granulés. Cinq emplois permanents ont été créés et deux tonnes de produit écoulées en trois mois, selon les registres de l’entreprise.
Le ministère de l’Agriculture suit ces évolutions avec attention. Un cadre technique, préférant l’anonymat, confirme que des discussions sont en cours pour inscrire les biofertilisants congolais au cahier des charges des marchés publics destinés aux cantines scolaires.
Perspectives pour une agriculture durable
Les lauréats projettent maintenant d’étendre leurs essais à d’autres cultures stratégiques, manioc et piment en tête. Ils visent également la certification auprès du Bureau congolais de normalisation afin de rassurer les exportateurs.
À moyen terme, l’Anvri prévoit de doter chaque département d’un atelier de compostage pilote. L’objectif affiché est de transformer 30 % des biodéchets urbains en engrais verts d’ici à 2028, générant parallèlement une réduction significative des émissions de méthane.
Pour le professeur Mavoungou, la dynamique actuelle illustre la capacité du Congo à conjuguer science, entrepreneuriat et souveraineté alimentaire. « Chaque pelletée de compost produit localement est une victoire contre la dépendance extérieure et pour le climat », conclut-il, sourire complice aux jeunes chercheurs.
