Nkayi sous les projecteurs de la lutte anti-braconnage
Dans la nuit du 28 octobre 2025, les ruelles sablonneuses de Nkayi ont vibré au passage discret d’une patrouille mixte. Au matin, un quadragénaire était menotté, un bébé chimpanzé serré contre lui dans une caisse de fortune, image vite devenue virale.
Cet épisode rappelle que le chimpanzé, espèce intégralement protégée par l’arrêté 6075/MDDEFE/CAB, reste la proie d’un commerce clandestin lucratif. Les spécialistes estiment qu’un petit peut se vendre plus d’un million de francs CFA sur certains marchés informels d’Afrique centrale.
Un coup de filet appuyé par la science des données
À Nkayi, le coup de filet résulte d’un maillage inédit entre la gendarmerie de Bouenza, la Direction de l’économie forestière et le Projet d’appui à l’application de la loi sur la faune (PALF). Cinq jours d’investigation, triangulation d’appels et repérages ont précédé l’arrestation.
« Nous misons désormais sur la collaboration citoyenne et la data, pas seulement sur les barrages routiers », confie le commandant Auguste Bissaka, chef de la compagnie de Nkayi. Selon lui, près de la moitié des signalements proviennent d’appels anonymes passés depuis des villages riverains.
Le quadragénaire encourt jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et cinq millions de francs CFA d’amende. Des chiffres rarement appliqués, reconnaissent juristes et ONG, mais le parquet de Madingou assure vouloir « faire école » en plaidant la peine maximale pour créer un précédent dissuasif.
La loi congolaise classe le chimpanzé en annexe I, au même rang que le gorille et l’éléphant de forêt. Depuis 2020, le pays a renforcé la traçabilité de la viande de brousse avec des codes QR sur les permis de transport, réduisant les poches d’illégalité.
Les voix des villages face au trafic
À Miampen, un village bordant la forêt de la Lékoumou, la mère d’un chasseur confie que « les jeunes voient Internet, ils veulent de l’argent rapide ». Elle applaudit toutefois les patrouilles mixtes qui, selon elle, rassurent les planteurs face aux incursions d’animaux traqués.
La disparition d’un seul chimpanzé peut bouleverser la régénération de plus de 100 essences forestières, rappellent les chercheurs de l’université Marien-Ngouabi. Ces primates dispersent les graines en parcourant jusqu’à 15 kilomètres par jour, un service écosystémique impossible à remplacer par l’homme.
Tchimpounga, hôpital de la seconde chance
Le bébé saisi a rejoint le sanctuaire de Tchimpounga, géré par l’Institut Jane Goodall dans le Kouilou. Là, vétérinaires et soigneurs l’hydratent au lait enrichi et évaluent ses risques sanitaires avant l’intégration à un groupe de jeunes orphelins déjà socialisés.
« Chaque nouvel arrivant coûte environ 3 millions de francs CFA la première année », explique la vétérinaire principale, Dr Marie-Jeanne Kinfouma. Les financements proviennent de dons privés, de mécènes congolais et d’un appui complémentaire du ministère de l’Économie forestière.
Après trois à cinq ans de réhabilitation, les chimpanzés sont réintroduits sur des îlots contrôlés du fleuve Kouilou. Une équipe suit par radio-collier leur adaptation alimentaire et sociale, un protocole validé par le Comité national CITES et salué par l’Union africaine.
Former et équiper les sentinelles vertes
Drones légers, pièges photographiques et algorithmes d’identification sonore alimentent désormais un tableau de bord en temps réel, partagé entre PALF, forces de sécurité et sociétés forestières titulaires de concessions certifiées FSC. Ce dispositif réduit la zone grise où le trafic prospérait.
Plus de 200 éco-garde communautaires ont suivi cette année une formation aux premiers secours animaliers, aux procédures de constat d’infraction et à l’usage sécurisé de GPS. Les sessions se tiennent dans l’ancienne base pétrolière réhabilitée de Kimbedi, devenue centre de compétences vertes.
Vers un écotourisme responsable
Le gouvernorat de Bouenza explore en parallèle un programme d’écotourisme axé sur l’observation lointaine des primates. Des guides diplômés, issus pour moitié de familles d’ex-chasseurs, pourraient générer jusqu’à 150 000 CFA de revenus mensuels, selon une étude conjointe mairie-PNUE.
Par ailleurs, la Bourse régionale des valeurs mobilières s’apprête à lancer un premier « Green Bond » congolais dont 5 % du produit financerait des opérations anti-braconnage. Les discussions techniques ont abouti à l’intégration d’indicateurs de survie des primates comme métrique d’impact.
Un jalon pour la politique climatique nationale
Cette dynamique s’inscrit dans les engagements climatiques du Congo, présentés lors de la COP 27, où Brazzaville a réaffirmé sa volonté de protéger 30 % de ses forêts et faunes d’ici 2030. L’affaire de Nkayi devient ainsi un jalon, non un simple fait divers.
Comment alerter et protéger
Reste le défi de la répétition. Comme le rappelle le primatologue Richard Loukadio, « sauver un chimpanzé est une victoire, sauver l’espèce appelle constance et moyens ». À Nkayi, la cage vide du bébé saisi résonne déjà comme un rappel à cette vigilance collective.
Toute personne témoin d’un acte de trafic peut composer le 1480, numéro vert national, ou transmettre photos et localisation via l’application mobile FauneAlerte, disponible hors ligne. Le service garantit l’anonymat et a déjà permis douze arrestations en six mois.
