Une artère électrique remise sous tension
Reliant sur plus de cinq cent trente kilomètres la plateforme industrielle de Djeno à Pointe-Noire et la capitale Brazzaville, la ligne haute tension 400 kV constitue depuis trois décennies la colonne vertébrale du réseau électrique congolais. Victime d’intempéries tropicales, de contraintes mécaniques et d’une densification rapide de la demande, l’infrastructure avait vu, ces dernières années, sa disponibilité tomber en dessous de soixante pour cent, obligeant la Société nationale d’électricité à recourir à des groupes thermiques d’appoint onéreux et polluants.
L’annonce par Claudio Descalzi, directeur général d’Eni, du lancement effectif des travaux marque donc un tournant technique décisif. Le chantier, qui mobilise des équipes mixtes congolaises et italiennes, inclut le remplacement de pylônes corrodés, la sécurisation des corridors boisés et l’installation d’un nouveau système de supervision numérique en temps réel. Les premiers câbles haute capacité devraient être déroulés entre Mpila et Loutété avant la saison pluvieuse, afin de limiter les coupures observées l’an passé pendant les fortes crues.
Le sceau d’un partenariat stratégique
Reçu au Palais du Peuple par le président Denis Sassou Nguesso, le dirigeant d’Eni s’est félicité d’un « dialogue direct et constructif » qui conforte la place de l’entreprise, implantée au Congo depuis 1968, comme deuxième opérateur pétrolier et désormais acteur pivot de l’électricité nationale. Le protocole d’accord signé en marge de l’audience prévoit une répartition claire des responsabilités : financement et expertise technique pour Eni, maîtrise d’ouvrage et facilitation administrative pour l’État, à travers les ministères de l’Énergie et des Finances.
Ce schéma public-privé illustre la stratégie gouvernementale consistant à attirer des capitaux étrangers tout en conservant la souveraineté sur les actifs structurants. Selon le ministère en charge du Plan national de développement 2022-2026, le projet s’inscrit dans l’axe numéro deux, consacré aux infrastructures compétitives. Les bailleurs multilatéraux saluent d’ailleurs cette articulation, jugée « exemplaire » par une note récente de la Banque africaine de développement, en raison de sa gouvernance contractualisée et de son échéancier réaliste.
Retombées économiques et cohésion nationale
Le rétablissement d’un flux électrique fiable entre le littoral et l’hinterland devrait accroître de vingt pour cent la capacité d’alimentation des zones industrielles de la capitale économique, tout en sécurisant l’électrification de la rive droite du fleuve Congo. À moyen terme, le gouvernement anticipe une baisse des coûts de production pour les cimenteries et les aciéries de Maloukou, susceptibles de générer plus de deux mille emplois additionnels, estime l’Agence pour la promotion des investissements.
Au-delà des indicateurs macroéconomiques, l’impact social demeure central. Les centres de santé périurbains, souvent tributaires de groupes diesel intermittents, obtiendront un branchement prioritaire. Par ailleurs, l’Université Marien-Ngouabi projette déjà de déployer des laboratoires de haute précision grâce à la stabilité de tension promise, favorisant la recherche locale et le maintien des talents scientifiques au pays.
Vecteur de transition énergétique et climatique
Le renforcement de la ligne Djeno-Brazzaville s’articule avec le développement simultané du gisement de gaz léger Marine XII. Eni prévoit d’y liquéfier jusqu’à 4,5 milliards de mètres cubes par an dès 2025, dont une partie sera injectée dans la production domestique d’électricité. Ce couplage gaz-électricité, soutenu par l’Initiative africaine pour les énergies propres, permet de réduire la part du fioul lourd dans le mix énergétique national et de diminuer les émissions de dioxyde de carbone d’environ un million de tonnes par an, selon les calculs de l’ONG Climate Analytics.
La diplomatie énergétique congolaise se trouve ainsi confortée. En stabilisant sa fourniture interne, Brazzaville libère des volumes exportables vers les marchés de la sous-région, notamment la République démocratique du Congo et le Gabon, via le futur pool énergétique d’Afrique centrale. « Une capacité additionnelle de cinquante mégawatts pourrait être mise à disposition de nos voisins, renforçant la solidarité régionale », souligne l’économiste Joseph Ebina.
Garanties de gouvernance et de suivi technique
Consciente des défis inhérents aux grands chantiers, la Cellule de suivi des projets prioritaires rattachée à la présidence a instauré un mécanisme d’audit trimestriel associant Cour des comptes, société civile et partenaires techniques. Les indicateurs publiés seront accessibles sur un portail dédié, conformément aux engagements de transparence pris par le Congo dans le cadre de l’Initiative pour la transparence des industries extractives.
Sur le plan technique, l’utilisation de drones pour l’inspection des pylônes et la formation de cent vingt techniciens locaux aux normes IEC attestent d’une volonté de transfert de compétences. « Nous ne voulons pas d’une simple prestation clé en main ; nous consolidons notre souveraineté technologique », insiste le ministre de l’Énergie, Honoré Sayi, qui rappelle que la maintenance préventive est désormais budgétisée sur dix ans.
Prospective : l’horizon 2030 en ligne de mire
À l’échelle de la prochaine décennie, la modernisation de la dorsale électrique ouvre des perspectives décisives pour le programme gouvernemental « Congo Digital 2025 », fondé sur la disponibilité d’une énergie fiable et compétitive. Les data-centers, les zones économiques spéciales et les pôles agro-industriels attendent ce socle pour monter en puissance. En inscrivant la réhabilitation de la ligne haute tension dans une trajectoire plus large de croissance inclusive, le Congo réaffirme sa détermination à conjuguer stabilité énergétique, attractivité économique et responsabilité environnementale, tout en consolidant la confiance des investisseurs internationaux.