Le pacte financier qui change d’échelle
Sous le ciel d’Oslo, en marge d’une réunion ministérielle, Paris a officialisé un fonds de 2,5 milliards USD pour le bassin du Congo. Les gouvernements français, allemand, belge, norvégien et britannique s’associent à la Banque mondiale, à la BAD et à trois grands fonds climat pour concrétiser l’engagement.
Ce signal financier intervient après des années de plaidoyer des États riverains. « La forêt congolaise est le thermorégulateur de l’Afrique centrale », a rappelé Arlette Soudan-Nonault, ministre congolaise de l’Environnement, saluant « un pas décisif pour l’action plutôt que la lamentation ».
Un poumon vert sous pressions multiples
Deuxième forêt tropicale humide de la planète, le massif s’étend sur six pays, dont la République du Congo. Les statistiques satellites montrent une perte annuelle d’environ 500 000 hectares, alimentée par l’agriculture itinérante, l’orpaillage, l’urbanisation et une demande croissante de bois.
Selon la Banque mondiale, ces forêts stockent près de 91 milliards de tonnes de carbone, soit dix fois les émissions annuelles du secteur énergétique mondial. Maintenir cet atout naturel représente donc un enjeu planétaire, mais aussi un défi de développement pour les communautés qui dépendent du paysage forestier.
Appel de Belém : un ancrage diplomatique
Baptisée Appel de Belém, l’initiative trouve sa source dans les négociations climatiques onusiennes consacrées à l’Amazonie. Les partenaires veulent rappeler que le bassin du Congo mérite une attention équivalente, tant son rôle hydrologique et climatique influence la mousson africaine et le régime des pluies atlantiques.
Le document d’engagement sera officiellement présenté lors des Journées thématiques sur les forêts à la COP30, prévues les 17 et 18 novembre à Belém, ville historique aux portes de l’Amazonie. D’ici là, des groupes de travail mixeront diplomates, scientifiques et représentants communautaires pour préciser les critères d’éligibilité.
Des technologies au service de la forêt
Une part substantielle des 2,5 milliards servira à déployer l’imagerie satellite haute résolution, améliorer les bases de données nationales d’usage des terres et former des agents forestiers aux protocoles MRV. La Norvège mettra à disposition sa plateforme NICFI d’accès gratuit aux images PlanetScope.
Pour le Pr Jean-Marc Koyo, botaniste à l’Université Marien-Ngouabi, « la combinaison de la télédétection et des relevés de terrain permettra enfin un suivi transparent des concessions, indispensable à la certification et à la crédibilité des crédits carbone issus de nos paysages ».
Retombées attendues pour les communautés
Au cœur du projet figure la création d’emplois verts. Les partenaires estiment que chaque million de dollars investi dans la restauration forestière génèrera jusqu’à 39 emplois locaux. Les femmes productrices de miel forestier de la Sangha pourraient, par exemple, tripler leurs revenus grâce à un meilleur accès aux marchés.
La jeunesse n’est pas oubliée. Un volet fintech soutiendra des start-ups congolaises spécialisées dans la traçabilité du bois et la production de briquettes de biomasse. « Les financements climatiques ne doivent pas se perdre dans les couloirs administratifs », insiste Yvon Ibata, entrepreneur de Pointe-Noire.
Alignement avec les politiques nationales
Le Congo-Brazzaville dispose déjà d’une Stratégie nationale REDD+ validée par le Fonds carbone de la Banque mondiale. Le nouveau fonds vient consolider ces orientations sans les supplanter. Des guichets nationaux, coordonnés par le ministère de l’Économie forestière, assureront la cohérence avec le Plan National de Développement.
Ce maillage institutionnel limite les doublons et rassure les bailleurs. « Nous finançons des initiatives locales, pas des structures parallèles », résume un conseiller technique de l’Agence française de développement, ajoutant que les décaissements seront indexés sur des indicateurs de réduction d’émissions vérifiés.
Un levier pour la finance carbone
Au-delà de la subvention, l’Appel de Belém veut attirer des capitaux privés via un mécanisme de garantie sur les crédits carbone. La BAD planche sur un instrument assurantiel qui protégerait les premiers investisseurs contre les fluctuations du marché volontaire.
Si le dispositif aboutit, les projets communautaires de reboisement et d’agroforesterie certifiés pourraient recevoir un paiement initial, avant même la délivrance formelle des crédits. Une avancée attendue par les coopératives rurales qui manquent de trésorerie pour planter et entretenir les jeunes arbres.
Des attentes fortes à l’aube de 2025
Les ONG de Brazzaville plaident pour que 30 % du montant global soient dédiés à la conservation stricte, notamment dans le parc d’Odzala-Kokoua. Elles réclament aussi des procédures simplifiées pour que les petites organisations puissent postuler sans recourir à des cabinets étrangers coûteux.
L’évaluation indépendante annuelle, confiée à un consortium d’universités africaines, devra mesurer l’impact réel sur la déforestation. Les premiers indicateurs seront publiés début 2025, offrant une base objective pour ajuster les allocations et renforcer, si besoin, les activités de terrain.
Prochain rendez-vous à la COP30
À Belém, les partenaires entendent dévoiler une cartographie interactive des projets pilotes déjà identifiés. Les chefs d’État invités, dont le président Denis Sassou Nguesso, pourraient valider de nouvelles coopérations Sud-Sud, notamment avec la Colombie et l’Indonésie.
Cette perspective ouvre la voie à un front commun des grands bassins tropicaux, capable de peser sur les négociations internationales sur le carbone mondial. Pour les habitants de la Likouala comme pour les pêcheurs de l’Ogoué, c’est l’espoir concret que la valeur de leurs forêts soit enfin reconnue et protégée.
