Un paradoxe énergétique africain
De Lagos à Pointe-Noire, la même question se répète : comment un continent qui repose sur plus de 17 000 milliards de mètres cubes de gaz peut-il encore connaître des coupures quotidiennes d’électricité ?
Le nouveau rapport « Gaz pour l’Afrique 2025 », corédigé par Hawilti et l’Union internationale du gaz, met des chiffres précis sur ce paradoxe et alerte sur le risque de voir la croissance africaine bridée par un déficit énergétique persistant.
Des réserves colossales sous-exploitées
Selon l’étude, l’Afrique n’a extrait en 2024 que 246 milliards de mètres cubes de gaz commercialisé, sept fois moins que l’Amérique du Nord.
La consommation intérieure, limitée à 178 milliards de mètres cubes, illustre une déconnection entre le sous-sol et les besoins d’une population dont la demande énergétique croît pourtant avec l’urbanisation, le numérique et l’essor des PME industrielles.
Le poids d’un réseau électrique fragile
Près de la moitié du gaz extrait finit encore dans des turbines destinées à alimenter des réseaux électriques chroniquement déficitaires, où les arriérés de paiement pèsent sur les opérateurs publics.
Cette affectation quasi exclusive rogne la rentabilité des chaînes de valeur gazières et retarde les investissements nécessaires dans des gazoducs, terminaux de liquéfaction ou complexes chimiques capables d’absorber des volumes plus importants.
Le gaz, moteur industriel sous-estimé
Le rapport souligne pourtant des exemples gagnants : l’Égypte transforme son gaz en engrais exportés, l’Algérie l’oriente vers le ciment et la pétrochimie, tandis que le Nigéria soutient son acier domestique.
Ces modèles prouvent que la valeur ajoutée se crée lorsque le gaz alimente directement des clusters industriels proches des champs de production, réduisant les coûts logistiques et sécurisant la demande sur le long terme.
Une opportunité pour la transition climatique
En Afrique, le gaz naturalisé peut aussi remplacer le diesel dans les micro-réseaux isolés ou le charbon dans la production d’électricité, abaissant rapidement l’intensité carbone tout en garantissant une puissance pilotable.
Pour la cuisson domestique, la substitution de la biomasse par le gaz liquéfié limiterait la déforestation et les maladies respiratoires aiguës, deux fléaux encore trop courants dans les villes secondaires comme dans les villages.
Vers l’hydrogène et les gaz bas carbone
Le rapport insiste sur la compatibilité des réseaux gaziers avec l’hydrogène vert ou le biométhane, dont le transport nécessite des infrastructures similaires; investir aujourd’hui dans des pipelines modernes prépare donc les voies de demain.
Les universités de Brazzaville et de Dakar évaluent déjà la possibilité d’injecter 10 % d’hydrogène dans les futurs gazoducs panafricains, un pourcentage considéré comme techniquement sûr et financièrement abordable par les opérateurs.
Huit axes pour changer d’échelle
Les auteurs dégagent huit principes interdépendants : concevoir des projets résilients, innover dans les financements, faciliter l’environnement des affaires, stimuler les usages régionaux, développer des clusters, monter en puissance par étapes, réformer les marchés électriques et internaliser le coût carbone.
Les auteurs recommandent par exemple de favoriser les projets modulaires, tels que les mini-usines de liquéfaction flottantes, qui nécessitent moins de capital initial et peuvent être déplacées vers de nouveaux gisements en fin de cycle.
Cette feuille de route mise à jour pour 2025 mise sur un apprentissage progressif : démarrer avec la demande locale existante avant d’ouvrir des corridors d’exportation, afin de maximiser les retombées économiques nationales.
Congo et nouveaux pôles gaziers en vue
Le Congo-Brazzaville figure parmi les pays cités comme candidats naturels à cette montée en puissance, grâce aux récents développements offshore proches de Pointe-Noire et aux ambitions industrielles de la Zone économique spéciale d’Oyo-Ondja.
Des ingénieurs du ministère congolais des Hydrocarbures confirment que des études de faisabilité pour un réseau national de distribution de gaz naturel comprimé sont en cours, avec un accent particulier sur l’alimentation des cimenteries et des mines de potasse.
Financements et environnement des affaires
Pour Amel Grabsi, directrice régionale de Hawilti, « le véritable obstacle n’est pas la géologie, mais la structure des marchés »; elle plaide pour des tarifs de l’électricité reflétant les coûts réels et pour des garanties de paiement attractives pour les investisseurs.
Le rapport encourage ainsi la création de fonds de développement communs réunissant États, banques régionales et finance verte internationale, afin de réduire le coût du capital dans un contexte de resserrement monétaire mondial.
La tarification progressive des émissions, testée en Afrique du Sud, pourrait également générer des revenus domestiques dédiés aux infrastructures gazières, tout en envoyant un signal prix en faveur des solutions à faible carbone.
Vers une intégration régionale gagnante
Si les réformes suivent, les analystes estiment que le gaz pourrait devenir le chaînon manquant de l’intégration énergétique de la Communauté économique des États d’Afrique centrale, offrant des débouchés à l’export tout en sécurisant l’approvisionnement domestique.
Regards vers l’avenir
Au-delà des chiffres, l’enjeu est humain : offrir une lumière fiable aux élèves, alimenter les frigos des cliniques rurales et créer des emplois qualifiés dans des usines locales; autant de raisons d’accélérer la révolution gazière faite par et pour les Africains.
