Un pari sur l’agroforêt familiale
Le bassin du Congo cherche des solutions qui protègent les forêts tout en renforçant les revenus ruraux. Dans cette quête, le modèle des « agroforêts des ménages » se présente comme un compromis entre conservation et production, en s’appuyant sur la cellule la plus résiliente : la famille paysanne.
Mis au point dans le cadre du Projet de renforcement et innovation en foresterie participative (RiFoP), le concept attribue à chaque ménage un bloc forestier à gérer. L’idée est d’arrêter l’expansion agricole anarchique en sécurisant un espace suffisant pour plusieurs générations, tout en intégrant cacao, café, palmier ou vivrier sous couvert arboré.
Atelier régional de Brazzaville : état des lieux
Le 14 octobre, trente experts congolais et camerounais se sont retrouvés à Brazzaville pour examiner l’avancée de la première phase du RiFoP. Administrations forestières, bailleurs et ONG ont croisé leurs données satellite, carnets de terrain et tableaux financiers.
Selon Jean-Yves Loufoua, coordinateur national du projet, « nous avons maintenant un an de recul sur vingt-deux blocs familiaux pilotes, soit 480 hectares au total, dont quatre-vingts pour cent maintiennent un couvert boisé supérieur à 60 % ». Ces chiffres confirment une tendance à la stabilisation des défrichements.
Des résultats qui interrogent mais encouragent
Le rapport présenté souligne une hausse moyenne de 18 % des revenus agricoles des ménages pilotes, grâce à la vente de miel et de fruits à Brazzaville et Douala. Toutefois, seules neuf familles ont déjà obtenu des actes de concession, illustrant la lenteur administrative.
Les techniciens notent aussi une mortalité de 25 % des plants d’ombrage à cause d’un pic de sécheresse fin 2022. Des sessions de formation sur l’irrigation goutte-à-goutte low-cost sont programmées pour limiter cet aléa climatique de plus en plus fréquent.
Paroles de village : impacts concrets
À Itoumbi, Odette Mavoungou montre fièrement sa parcelle où manioc, safoutier et moabi cohabitent. « Je ne brûle plus, je taille. Mon fils reste au village car il voit un avenir ici », explique-t-elle, téléphone à la main pour vérifier le prix du beurre de moabi.
De l’autre côté de la frontière, dans le Haut-Nyong, le chef Ntoukpam témoigne : « Avant, nos jeunes abattaient dix arbres par semaine pour du sciage clandestin. Depuis qu’ils possèdent leur agroforêt, ils la défendent contre les coupeurs illégaux ». Ces récits confirment l’utilité sociale du modèle.
Enjeux fonciers et législatifs
L’une des principales questions débattues concerne l’inscription de l’agroforêt familiale dans les codes foncier et forestier. Au Congo, la loi de 2020 sur les forêts communautaires reste muette sur les droits individuels. Au Cameroun, un décret de 2023 ouvre déjà une porte.
Pour Huguette Bissambou, juriste au ministère des Affaires foncières, « le défi est de garantir la transmissibilité héréditaire de la parcelle sans morceler l’écosystème ». Les participants proposent un certificat simplifié, délivré par les mairies, adossé à un plan de gestion quinquennal validé par l’administration.
Perspectives régionales
La Commission des forêts d’Afrique centrale a salué le dispositif et envisage de l’aligner sur son Plan d’investissement climat. Un guide méthodologique commun serait publié en 2025, avec des indicateurs de carbone, biodiversité et revenus.
Le financement reste crucial. Le Fonds vert pour le climat pourrait mobiliser dix millions de dollars pour étendre l’expérience à mille ménages, à condition de montrer, d’ici fin 2024, que le modèle stocke au moins cinquante mille tonnes de CO2 par an.
Encadré pratique : candidater à une parcelle pilote
Les familles intéressées doivent résider dans un rayon de dix kilomètres autour d’une aire protégée et prouver qu’elles exploitent moins de trois hectares ouverts. Dossier : photocopie de la carte d’identité, lettre du chef de village, esquisse de la parcelle sur calque topographique.
Le secrétariat du RiFoP, situé au siège de la Direction générale de l’Économie forestière à Brazzaville, reçoit les candidatures chaque premier lundi du mois. Un numéro vert, 9090, renseigne sur la procédure et met en relation avec les formateurs ruraux partenaires.
