Gaz congolais et souveraineté énergétique
Au large de Pointe-Noire, le Tango FLNG convertit depuis décembre 2023 le gaz associé des champs congolais en GNL destiné aux marchés locaux et internationaux. L’unité flottante, pilotée par Eni et la Société nationale des pétroles du Congo, symbolise une nouvelle ère énergétique pour le pays.
Dans la foulée, une seconde barge, Nguya FLNG, est attendue fin 2024 pour tripler la capacité totale à trois millions de tonnes par an. Avec ce projet Congo LNG, l’État anticipe des recettes additionnelles tout en sécurisant l’approvisionnement en électricité dans les grandes villes.
Eni et la stratégie African Energy First
Le directeur général d’Eni, Claudio Descalzi, voit dans le gaz congolais un levier de « souveraineté énergétique partagée ». À Brazzaville, il rappelait que quatre-vingts pour cent du gaz extrait resteront sur le marché national, garantissant un combustible moins émetteur pour l’industrie et les ménages.
Le gouvernement, de concert avec les partenaires privés, mise sur la transformation locale. Une partie du gaz naturel liquéfié sera regazéifiée pour alimenter la centrale de Djeno, tandis qu’un nouveau réseau de mini-centrales au gaz est à l’étude pour les zones rurales isolées.
Impacts socio-économiques côtiers
Pour les communautés de la côte, l’impact se mesure déjà. Hugues Kouyenga, pêcheur à Loango, confie que la route asphaltée construite pour amener les modules FLNG « facilite maintenant l’évacuation du poisson vers Pointe-Noire en moins d’une heure ». Les coopératives locales ont doublé leurs ventes hebdomadaires.
Eni revendique plus de 1 200 emplois directs et 3 000 indirects créés depuis 2022, dont quarante-deux pour cent occupés par des jeunes de moins de trente ans. Dans un contexte national où le chômage reste élevé, ces recrutements spécialisés constituent un soulagement salué par les autorités municipales.
Climat : réduire torchères et fuites
Sur le plan climatique, l’entreprise s’est engagée à limiter les torchères. Descapteurs infrarouges couplés à des drones mesurent les fuites de méthane en temps réel. Selon les données livrées à l’Initiative OGMP 2.0, le taux de fuite est tombé sous 0,15 %, bien inférieur à la moyenne régionale.
Pour Ernest Makaya, ingénieur énergie à l’Université Marien-Ngouabi, « le gaz reste une énergie fossile, mais il permet de réduire d’environ soixante pour cent les émissions par kilowatt-heure par rapport au fuel lourd encore utilisé dans nombre de localités ».
La stratégie d’Eni ne se limite pas au gaz. Un parc solaire pilote de 30 MWp sera raccordé près de Hinda dès 2025 afin d’alimenter les compresseurs de gaz et d’injecter l’excédent sur le réseau de la Société nationale d’électricité, réduisant la dépendance au diesel importé.
Participation citoyenne renforcée
Les ONG environnementales surveillent cependant la bonne application des plans de gestion. L’association Rencontre pour l’écologie du Congo note une amélioration des consultations publiques depuis 2021, mais réclame un fonds pérenne pour restaurer les mangroves affectées par les activités portuaires liées au GNL.
Claudio Descalzi met régulièrement en avant l’accès à la cuisson propre, objectif partagé par les autorités sanitaires congolaises. Depuis janvier, 18 000 foyers de la communauté Tchibamba testent des kits GPL subventionnés, réduisant la déforestation des savanes côtières et les maladies respiratoires chez les femmes et les enfants.
Sur le volet formation, l’Institut national du pétrole vient de signer avec Eni une convention pour insérer chaque année cent diplômés dans les métiers du GNL, de la maintenance cryogénique au pilotage d’unité flottante. Les premiers techniciens congolais rejoindront la barge Tangerine LNG au premier trimestre 2025.
Financements et intégration régionale
Cette montée en compétence répond aussi aux attentes des bailleurs de fonds. La Banque africaine de développement conditionne une ligne de crédit de 150 millions de dollars destinée à l’extension du réseau électrique à la présence d’au moins trente pour cent de cadres nationaux dans l’exploitation du gaz.
Au niveau régional, le corridor gazier Congo-Gabon, étudié avec la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, pourrait mutualiser les excédents de production et stabiliser les tarifs. Les discussions portent sur un gazoduc côtier de 700 kilomètres assorti d’un mécanisme de tarification carbone incitatif.
Pour l’économiste Élodie Goma, ce projet « renforce l’intégration sous-régionale et accroît l’attractivité pour les investisseurs verts ». Elle souligne que l’arrivée de capitaux privés dépendra d’une régulation stable et de la poursuite d’initiatives sociales, « sans quoi l’acceptabilité locale restera fragile ».
Vers une gouvernance énergétique responsable
En combinant gaz, solaire et programmes communautaires, le Congo dessine une feuille de route qui conjugue développement économique et transition bas-carbone. Le pari reste ambitieux, mais les premières tonnes de GNL exportées et les lampes allumées à Djeno montrent qu’un modèle africain d’énergie pragmatique est à portée.
Les observateurs rappellent qu’une gouvernance transparente demeure essentielle. Le Comité national ITIE publiera fin 2025 un tableau de bord spécifique au gaz, incluant taxes, dividendes et dépenses socio-communautaires. Les organisations citoyennes, invitées à participer à la validation, y voient une avancée vers une « énergie responsable à la congolaise ».
