Pénurie d’eau à Ngamakosso
Derrière les maisons de tôle ondulée de Ngamakosso, l’eau cesse souvent de couler dès l’aube, laissant robinets et citernes désespérément vides jusqu’au surlendemain. Cette intermittence réveille une question simple : pourquoi payer plein tarif pour un service que l’on ne reçoit qu’à moitié ?
Le 15 septembre, plusieurs habitants se sont rassemblés devant une borne-fontaine inutilisée pour exhorter la Congolaise des Eaux à réviser les factures. Le message, relayé par l’Agence Congolaise d’Information, illustre l’impatience croissante d’un quartier de plus de 40 000 âmes.
Pour l’ingénieur hydraulicien Didier Nkani, cette revendication se résume à un principe d’équité. « L’abonné mesure la valeur de l’eau à la fréquence d’ouverture du robinet », note-t-il, rappelant que la tarification n’inclut pas encore d’indicateur de continuité de service.
Vécu des habitants face aux coupures
Samson, maçon de 28 ans, calcule qu’il dépense chaque semaine 1 500 francs CFA uniquement pour transporter des bidons depuis le quartier voisin de Mikalou. « Je paie l’essence des motos-taxi, puis la facture officielle. C’est comme payer deux fois l’eau », soupire-t-il.
Chez Odile Matali, professeure, la réserve familiale se limite à deux barriques stockées dans le salon. Les jours secs, elle ferme la cuisine pour prioriser la toilette des enfants. « Nous organisons les tâches autour du calendrier des coupures », confie-t-elle, évoquant un stress permanent.
Données officielles sur la desserte
Selon les données du ministère de l’Hydraulique, la capitale consomme environ 120 000 m3 par jour, tandis que l’usine de Djiri n’en produit que 100 000. L’écart de 20 % se traduit par des poches de pénurie, principalement dans les zones en altitude comme Ngamakosso.
L’Observatoire congolais des services publics estime à 45 % les pertes techniques le long du réseau, un ratio supérieur à la moyenne africaine. Les fuites réduisent la pression en bout de ligne et augmentent mécaniquement les coûts unitaires d’exploitation.
Les défis de la Congolaise des Eaux
Contactée, la direction commerciale souligne que la structure tarifaire actuelle couvre à peine les dépenses d’énergie, de produits de traitement et de maintenance. Elle rappelle que la dernière révision des prix date de 2019, alors que le coût du kilowatt-heure a augmenté depuis.
« Nous travaillons sur des branchements sectorisés pour stabiliser la pression », explique un cadre technique, avant de préciser que l’installation de vannes intelligentes dépend de financements extérieurs. Un premier lot devrait arriver d’ici fin d’année grâce à un appui de la Banque africaine de développement.
Programmes nationaux pour l’accès à l’eau
Le Plan national d’adduction en eau potable et d’assainissement, lancé en 2018, vise à porter le taux de desserte urbaine à 85 % d’ici 2025. Parmi les chantiers annoncés figure l’extension de l’usine de Djiri, avec une capacité supplémentaire de 60 000 m3.
Le ministère assure que le budget 2024 réserve 12 milliards de francs CFA aux travaux de sécurisation des conduites historiques. « Nous voulons ramener les pertes sous 30 % en trois ans », promet un conseiller technique, évoquant le recours aux cartographies satellitaires pour localiser les fuites.
La Banque mondiale finance par ailleurs des branchements sociaux, facturés 10 000 francs au lieu de 60 000, dans les quartiers périphériques. Plus de 3 500 foyers en ont déjà bénéficié à Mpila et Massengo; Ngamakosso figure sur la liste des prochains lots.
Solutions communautaires innovantes
En attendant, des associations de jeunes distribuent chaque matin de l’eau stockée dans des poches souples. Le projet, appelé « Nguya ya maboko », s’appuie sur une application mobile qui géolocalise les points de retrait et recueille les contributions volontaires pour le carburant.
Le chef de quartier a aussi obtenu l’installation d’une pompe solaire alimentant un château d’eau communautaire. Le dispositif, fourni par une start-up congolaise, délivre 5 000 litres par jour. Chaque ménage verse un forfait mensuel de 500 francs pour l’entretien.
Vers une facturation plus équitable
Pour les économistes de l’environnement, la clé résidera dans une tarification différenciée par plage horaire. L’idée : appliquer un tarif réduit lorsque la fourniture est inférieure à un seuil de pression, à l’instar des modèles testés au Rwanda.
La Congolaise des Eaux se dit ouverte à une phase pilote dès que la télémétrie sera opérationnelle. « Si nous savons précisément qui reçoit quoi, nous pourrons facturer plus justement », admet le directeur des opérations, soulignant la nécessité d’investir dans les compteurs intelligents.
À Ngamakosso, l’espoir se mesure désormais aux gouttes qui s’échappent des tuyaux chaque lundi et jeudi. En attendant la grande réforme, les habitants répètent qu’ils ne demandent pas la gratuité, seulement un prix qui reflète la réalité de leur robinet.
L’ONG Action Eau Claire encourage les foyers à installer des aérateurs de robinet pour réduire de 30 % la consommation lorsque la pression revient. Elle organise des ateliers gratuits au centre social de Ngamakosso et distribue des kits importés du Cameroun financés par une fondation allemande.
Pour les familles les plus vulnérables, la mairie annonce un registre d’abonnement solidaire : chaque entreprise du district pourrait parrainer cinq ménages et prendre en charge une partie de leur facture. Un arrêté municipal est en cours de finalisation, avec lancement espéré au premier trimestre.
