Salon des métiers du bois : vitrine d’un potentiel inexploité
Le Salon des métiers du bois, organisé à Brazzaville, a révélé l’étendue des savoir-faire congolais, des scieries connectées aux ateliers de design. Entre machines de haute précision et tabourets sculptés à la main, exposants et visiteurs ont mesuré un potentiel économique encore sous-valorisé.
Dans les allées, Achille Tsiéta, consultant pour CIB-Olam, rappelait que l’entreprise, présente depuis un demi-siècle, transforme déjà 100% de ses grumes sur place, mais peine à écouler ses stocks faute d’une demande intérieure solide.
Production industrielle et défi du surstockage
Ces surplus s’amoncellent surtout à Pokola et Kabo, où les entrepôts alignent des planches soigneusement séchées. Selon CIB, plus de 40 000 m³ de bois transformé attendent un acheteur, immobilisant du capital et ralentissant l’investissement dans de nouvelles lignes.
Les scieries tournent donc parfois au ralenti pour éviter d’augmenter encore le stock. «Nous sommes arrivés à un niveau de transformation très poussé, mais sans marché, la compétitivité s’érode», explique Achille Tsiéta (entretien à La Semaine Africaine).
Le coût caché de la légalité forestière
Pour exporter, une concession certifiée FSC doit tracer chaque grume, payer des audits réguliers et verser diverses taxes. Le ticket d’entrée oscille entre 15 et 20 euros par mètre cube, un montant difficile à répercuter sur les familles congolaises recherchant un meuble abordable.
Achille Tsiéta souligne que ces charges, indispensables pour préserver la forêt, creusent l’écart avec le bois abattu illégalement dans les périphéries urbaines, vendu à prix cassé sans facture ni garantie d’origine. «La concurrence déloyale fausse tout repère tarifaire», regrette-t-il.
Jeunes, formations et nouveaux emplois verts
Pourtant, la filière reste l’un des premiers pourvoyeurs d’emplois hors pétrole. À Pokola, l’École forestière attire chaque année une centaine de jeunes qui se forment à la cartographie par drone, à l’usinage CNC ou encore à la gestion des aires de régénération.
«Nous acceptons les stagiaires venus de toutes les régions; beaucoup trouvent un poste avant même la fin du cursus», assure le formateur Roger Mboumbou. Les autorités locales saluent cette dynamique qui limite l’exode rural et ouvre la voie à des carrières techniques à forte valeur ajoutée.
La bataille de la préférence locale
Si le bois congolais meuble encore trop peu les hôtels ou administrations, c’est aussi par réflexe culturel. Les professionnels reconnaissent qu’une partie de la population associe la qualité au label importé, quand bien même l’okoumé local surclasse nombre d’essences européennes en résistance à l’humidité.
Le ministère du Commerce a lancé une campagne «Achetons Congolais» qui encourage les donneurs d’ordre publics à privilégier une offre domestique certifiée. Certains marchés pilotes, comme le mobilier scolaire de la Likouala, montrent déjà qu’un approvisionnement local réduit les délais et l’empreinte carbone du transport.
Réduire la parafiscalité pour stimuler le marché intérieur
Au-delà des taxes légales, les producteurs pointent une mosaïque de redevances parafiscales communales qui alourdissent jusqu’à 12 % le coût final. L’idée d’un guichet unique, discutée avec le ministère de l’Économie forestière, fait consensus pour simplifier les procédures et lisser les prix à la baisse.
Achille Tsiéta estime qu’une réduction de 5 % sur les grilles tarifaires pourrait suffire à rendre les lambris, portes et planchers congolais compétitifs face aux importations asiatiques. «L’État y gagnerait en TVA grâce à la hausse des volumes écoulés», anticipe le consultant.
Vers une gouvernance forestière partenariale
Les entreprises certifiées saluent la récente loi forestière, qui valorise la transformation locale et la protection communautaire. Des plateformes de dialogue réunissent désormais industriels, autorités et chefs coutumiers pour ajuster les plans d’aménagement et répartir les bénéfices issus du bois d’œuvre.
À Kintélé, un comité pilote teste un suivi par télédétection des abattages, couplé à un fonds social géré par la commune. L’initiative, appuyée par la Banque mondiale, vise à montrer que transparence et retombées locales consolident l’acceptabilité des coupes industrielles.
Cartes et données : où se trouve la demande ?
Les cartes du Centre national d’inventaire montrent que Brazzaville, Pointe-Noire et Dolisie concentrent 70 % de la demande de bois traité. Ces villes verdiront leur parc immobilier d’ici 2030, selon le Plan national de développement, offrant une fenêtre d’opportunités aux transformateurs.
Le segment funéraire, souvent cité par Achille Tsiéta, représente à lui seul 8 000 cercueils par an, dont l’immense majorité provient encore de scieries informelles. Formaliser cette niche pourrait absorber une part significative des stocks tout en améliorant la traçabilité sanitaire.
Pistes concrètes pour des meubles « Made in Congo »
Des designers de Pointe-Noire expérimentent déjà des gammes modulaires qui optimisent la chute de bois et réduisent les coûts logistiques. En combinant assemblage à plat et livraison en kit, ils ciblent la classe moyenne émergente, friande de mobilier personnalisable et robuste.
Le prochain défi consiste à convaincre les banques de proposer des micro-crédits dédiés aux menuisiers, afin d’acheter des raboteuses économes en énergie. Avec un appui coordonné des pouvoirs publics et des filières formelles, le bois congolais pourrait enfin devenir le matériau du quotidien.