Un joyau côtier sous les projecteurs
Bordé par l’Atlantique à l’extrême sud-ouest du Congo-Brazzaville, le parc national Conkouati-Douli déroule plages, mangroves et forêts intactes sur 5000 kilomètres carrés. Tortues luths, gorilles et éléphants partagent cet espace devenu, au fil des ans, une véritable vitrine de biodiversité.
Classé réserve en 1980 puis parc national en 1999, le site soutient aussi 7000 habitants répartis en villages côtiers, communautés de pêche ou d’agroforesterie. Leur économie dépend étroitement de la santé des mangroves, de l’eau douce et des ressources halieutiques.
Depuis deux ans, l’attention s’est focalisée sur deux blocs d’exploration pétrolière qui recoupent plus de la moitié de la partie terrestre du parc et près de 90 % de ses zones humides, selon l’ONG congolaise Centre d’actions pour le développement, Cad.
Le rapport Cad-Earth Insight en détail
Le 4 septembre, à Brazzaville, le directeur exécutif du Cad, Trésor Nzilla Kendet, a dévoilé un rapport corédigé avec le think-tank américain Earth Insight. Le document combine imagerie satellitaire, cartographie participative et analyses juridiques afin d’évaluer les risques écologiques et sociaux.
Principale conclusion : l’implantation d’infrastructures sismiques, de pistes et de forages pourrait fragmenter les habitats, accroître le risque d’incendies et perturber les couloirs migratoires d’espèces phares comme le dauphin de Sousa, présent dans la lagune de Conkouati.
Le rapport rappelle que le Congo a signé la Convention sur la diversité biologique et ratifié l’Accord de Paris. Ces engagements invitent à maintenir des aires protégées intactes afin de consolider les puits de carbone naturels qui stockent chaque année des millions de tonnes de CO2.
Sans pointer du doigt un acteur précis, le Cad encourage la révocation pure et simple des permis, ou leur redéfinition hors des limites du parc. L’ONG plaide également pour un processus participatif associant l’administration, les entreprises et les communautés riveraines.
Communautés et biodiversité, une cohabitation fragile
À Nanga, village de pêcheurs situé à l’embouchure, Bertin Mankiele montre les palétuviers qu’il replante chaque saison. Selon lui, la moindre pollution pourrait compromettre la nurserie naturelle des crevettes : « Nous vivons de l’estuaire; protéger la forêt revient à protéger nos enfants ».
Les organisations féminines, comme Femmes de Conkouati, rappellent que l’eau douce des lagunes approvisionne trois forages villageois et sert à la transformation artisanale du manioc. Une dégradation de qualité forcerait les ménages à parcourir quinze kilomètres supplémentaires pour trouver une source potable.
Sur le plan écologique, les biologistes du Projet Protection Gorilles observent déjà un stress accru chez certains groupes d’éléphants de forêt liés à la prospection aérienne. Le bruit des hélicoptères modifie les trajectoires quotidiennes des animaux, accentuant les risques de conflit avec les champs vivriers.
Pourtant, les chefs traditionnels saluent l’ouverture du ministère de l’Économie forestière, qui a organisé en juillet un atelier à Pointe-Noire pour recueillir les attentes locales. « Le dialogue est lancé; nous voulons des retombées durables », résume Sa Majesté Taty Mouanguina, roi Loango.
Cadre légal et engagement international
Le Code congolais de l’environnement impose une étude d’impact stratégique pour tout projet susceptible d’affecter une aire protégée. Les articles 78 et 79 exigent en outre l’accord préalable de l’Agence nationale des aires protégées, garante du statut du parc Conkouati-Douli.
Au plan régional, le Congo abrite le siège de la Commission des forêts d’Afrique centrale, moteur de la nouvelle initiative « Fonds bleu pour le bassin du Congo ». Ce levier financier encourage la conservation tout en valorisant des solutions à faibles émissions dans l’énergie, l’agroforesterie et le transport fluvial.
La diplomatie congolaise, régulièrement saluée lors des sommets climatiques, mise sur ces instruments pour concilier développement économique et protection de la nature. La révision possible des permis dans Conkouati-Douli s’inscrirait dans cette approche de respect des cadres légaux et d’alignement sur la vision nationale.
Quelles options pour un futur gagnant-gagnant ?
Plusieurs experts avancent la création d’une zone d’exploration alternative le long du corridor industriel de Pointe-Noire, déjà couvert par des voies d’accès. Cette relocalisation limiterait les nouvelles ouvertures de routes dans le parc tout en préservant les recettes attendues du secteur pétrolier.
Le Cad propose aussi des mécanismes de compensation carbone destinés à financer l’écotourisme, l’électrification solaire des villages et le renforcement des brigades anti-braconnage. Selon Trésor Nzilla Kendet, ces fonds permettraient de générer 150 emplois locaux en trois ans tout en consolidant la surveillance.
De son côté, le ministère des Hydrocarbures affirme explorer des technologies à empreinte minimale, telles que la sismique sans dynamitage ou les plateformes offshore repliables. Dans une note transmise aux parties prenantes, il assure que « toute décision finale respectera l’intérêt général et la loi ».
Les prochaines semaines seront décisives : un comité interministériel doit rendre un avis sur la compatibilité des permis avec le plan d’aménagement du parc. Observateurs, investisseurs et bailleurs de fonds suivront de près cette évaluation, perçue comme un test grandeur nature de la gouvernance verte congolaise.
Son verdict, annoncé pour décembre, pourrait redessiner la carte énergétique nationale.