Un jalon industriel inédit
En quittant le chantier naval de Shanghai le 26 août, la barge de liquéfaction Nguya a propulsé la République du Congo sous les projecteurs de l’industrie gazière mondiale, confirmant une trajectoire d’industrialisation axée sur la valorisation de ses ressources naturelles.
La cérémonie de départ, présidée par le ministre des Hydrocarbures Bruno Jean Richard Itoua aux côtés de Stefano Maione pour Eni, a illustré l’importance accordée par Brazzaville à une diplomatie énergétique proactive, s’appuyant sur des alliances stratégiques pour réaliser la Phase 2 du projet Congo LNG.
Une coopération multilatérale
Mis en service en décembre 2023, le Tango FLNG avait déjà prouvé la faisabilité d’une production offshore modulable. L’arrivée de Nguya, construite en trente-trois mois seulement, porte la capacité de liquéfaction congolais à trois millions de tonnes par an d’ici la fin de l’année.
Le consortium composé de la Société nationale des pétroles du Congo, d’Eni Congo et de Lukoil a piloté le chantier dans le respect des standards internationaux, combinant savoir-faire italien, capitaux russes et gestion locale pour assurer sécurité, délais et transfert de compétences.
Vers un hub gazier compétitif
À terme, les deux unités flottantes pourraient traiter près de six pour cent de la production gazière africaine, conférant à Pointe-Noire le statut de plateforme régionale pour l’exportation de GNL vers l’Europe, l’Asie et les marchés émergents d’Amérique latine.
Cette projection repose sur la stabilité institutionnelle et les réformes sectorielles engagées depuis 2020, qui visent à simplifier les régimes fiscaux, sécuriser les investissements étrangers et renforcer la transparence, éléments jugés décisifs par l’African Energy Chamber et plusieurs agences de notation.
Enjeux climatiques et innovation
Nguya intègre un système de captage et réinjection du gaz associé qui évite le torchage, réduisant sensiblement les émissions fugitives de méthane. Selon Eni, l’empreinte carbone reste inférieure de 30 % à celle des terminaux terrestres équivalents, grâce à une alimentation hybride turbines-électricité.
Le ministère congolais de l’Environnement voit dans cette technologie un levier de transition juste, puisqu’elle monétise un flux auparavant gaspillé tout en libérant des volumes de gaz naturel pour la production électrique domestique, condition sine qua non de l’industrialisation verte voulue par le gouvernement.
Impacts macroéconomiques escomptés
L’ajout de 2,4 millions de tonnes de capacité liquéfiée générera, d’après la direction générale de l’économie, un surplus annuel de recettes d’exportation estimé à 3 % du PIB, soit l’équivalent du budget national de l’éducation primaire.
Les contrats d’enlèvement à long terme signés avec des compagnies européennes devraient également stabiliser les flux de devises et améliorer la notation souveraine, facilitant l’accès à des financements concessionnels pour les infrastructures hydriques et les écoles rurales.
Perspectives pour la diplomatie énergétique
Lors du lancement, le président de l’African Energy Chamber, NJ Ayuk, a salué « un signal de confiance envoyé aux investisseurs, prouvant que la République du Congo sait mener des projets gaziers de grande envergure en sécurité ». Ces propos font écho aux ambitions régionales de Brazzaville.
En multipliant les protocoles d’échanges techniques avec ses voisins d’Afrique centrale, le Congo espère institutionnaliser un corridor gazier capable de réduire la dépendance au charbon du bassin du Congo et d’alimenter des centrales thermiques plus propres de Libreville à Yaoundé.
Un modèle de partenariat public-privé
La rapidité d’exécution — trente-trois mois entre la décision finale d’investissement et le départ de Shanghai — constitue, selon les analystes de Rystad Energy, un benchmark pour les futures infrastructures offshore africaines, souvent ralenties par des arbitrages contractuels complexes.
Le dispositif congolais partage les risques entre l’État, actionnaire minoritaire, et les opérateurs, responsables de la commercialisation. Cette répartition offre un alignement d’intérêts qui, d’après les juristes du secteur, limite les litiges et favorise la pérennité des investissements.
Cap sur l’année de référence 2030
Brazzaville souhaite que la montée en puissance du GNL contribue à porter la part du gaz dans le mix énergétique national à 25 % en 2030, contre 6 % actuellement, un objectif inscrit dans le Plan national d’adaptation au changement climatique publié en 2022.
Les observateurs s’accordent à dire que l’effet catalyseur du projet Nguya dépendra aussi de la formation locale ; 150 techniciens congolais sont déjà en stage à Shanghai pour maîtriser la maintenance, prémisse d’une ingénierie nationale capable d’essaimer vers d’autres industries sobres.
Effets sociaux et retombées locales
Dans le district de Djéno, point d’ancrage des terminaux, les autorités coutumières rapportent une hausse de la demande de services logistiques, de l’hôtellerie à la restauration. Selon la chambre de commerce de Pointe-Noire, plus de 600 petites entreprises bénéficient déjà de contrats liés directement ou indirectement au chantier.
Un fonds communautaire, alimenté par 0,5 % du chiffre d’affaires, doit financer des forages d’eau potable et la reforestation de 1 000 hectares de mangrove. Le ministère des Affaires sociales assure que ces mécanismes compensatoires feront l’objet d’un suivi participatif impliquant ONG et chefferies locales.
Pour les syndicats, la priorité reste cependant la formation continue afin d’éviter une dépendance excessive aux expatriés sur les postes de supervision et de renforcer la syndicalisation dans le secteur offshore naissant.