Cadre législatif congolais et avancées récentes
Dans les travées sereines du Palais des Congrès de Brazzaville, gouvernants, diplomates et représentants autochtones ont récemment dressé le bilan d’une décennie d’application de la loi 5-2011. Tous s’accordent : le texte a ouvert un cadre inédit de reconnaissance culturelle et de protection juridique durable.
Promulguée sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, la loi érige la consultation libre et éclairée en principe cardinal et confère, pour la première fois, des droits fonciers explicites aux peuples dits pygmées, majoritaires dans les forêts du Nord et du Sud-Ouest.
Selon la ministre déléguée chargée de l’Intégration des peuples autochtones, Rosalie Matondo, « la norme n’a de sens que si elle change le quotidien ». Son département a enregistré 412 certificats de propriété collective depuis 2018, un chiffre encore modeste mais jugé « encourageant » par le Programme des Nations Unies pour le développement.
Sécurisation foncière, clé de la résilience forestière
Les terres constituent le principal capital économique des groupes bantous et autochtones. Or l’absence de titres clarifiés alimente des conflits d’usage, freine les investissements et accentue la vulnérabilité des forêts. Le décret d’application sur le cadastre communautaire, attendu fin 2024, devrait renforcer la sécurisation collective.
L’Agence foncière rurale pilote déjà un projet pilote à Sibiti ; soixante-dix villages ont été cartographiés avec l’appui de drones. « Nous voulons prouver qu’une délimitation participative peut réduire la déforestation », explique son directeur technique, Jean-Benoît Nganga, qui mentionne une baisse de 6 % des abattages illégaux.
Santé, éducation et micro-économie inclusives
Au-delà du foncier, les indicateurs sociaux demeurent préoccupants : à Impfondo, une enquête conjointe OMS-UNICEF révèle que 58 % des femmes autochtones accouchent sans assistance qualifiée. Le gouvernement a annoncé l’ouverture de cinq postes de santé mobiles, financés par la Banque africaine de développement.
La scolarisation suit une trajectoire comparable. Le taux de fréquentation au primaire atteint désormais 71 %, contre 46 % en 2012, grâce à des bourses d’internat et à l’introduction d’un manuel bilingue lingala-teke. Les leaders communautaires notent pourtant un décrochage marqué à l’adolescence, faute d’offres d’apprentissage adaptées.
Sur le front économique, le ministère des PME expérimente un fonds rotatif de microcrédit alimenté par des recettes carbone du programme REDD+. En un an, 230 artisans ont obtenu des prêts à 2 % pour la transformation de produits forestiers non ligneux, notamment le miel et les champignons.
Savoirs traditionnels, atout pour la stratégie climat
Le Plan national climat 2025-2035 insiste sur la contribution épistémologique des peuples autochtones. Le ministère de l’Environnement a créé un comité scientifique mixte qui recense actuellement 146 pratiques culturales favorables au stockage de carbone, comme la rotation tubercules-bananiers ou l’usage de lianes mycorhiziennes.
Pour Dr Arlette Soudan-Nonault, « l’appropriation communautaire d’une politique bas-carbone passe par la valorisation des savoirs hérités ». Une expérimentation conduite à Pokola a montré que les zones où les rites de chasse respectent les périodes de repos animal affichent une biodiversité supérieure de 23 % aux parcelles témoins.
Le secteur privé s’intéresse à ces données. La société Nouvelle Société d’Exploitation Forestière a signé en juillet un accord de certification FSC qui intègre un protocole d’observation communautaire. Les chefs bakas auront un droit de veto sur toute coupe d’arbres jugée essentielle au maintien des pharmacopées locales.
Financements verts et diplomatie environnementale
Les partenaires internationaux multiplient les annonces. L’Agence française de développement consacre 15 millions d’euros à un programme triennal incluant l’énergie solaire villageoise et la formation d’éco-gardiens autochtones. La Banque mondiale, de son côté, évalue une opération de paiement pour services environnementaux axée sur la réduction des brûlis.
Brazzaville espère arrimer ces flux aux nouveaux standards de la Taskforce on Nature-related Financial Disclosures, afin d’attirer les investisseurs responsables. « Le Congo dispose d’un capital naturel stratégique qu’il entend valoriser sans le brader », rappelle le ministre des Finances, Jean-Baptiste Ondaye, lors du dernier Forum de Paris.
Les organisations autochtones réclament néanmoins un guichet dédié pour éviter que les fonds verts s’égarent dans des circuits administratifs complexes. Le Réseau national des peuples autochtones propose la création d’un comité de suivi paritaire, doté d’un droit de saisine directe auprès du Sénat et de la Cour des comptes.
Horizons 2030 : vers une inclusion durable
Au plan diplomatique, le Congo s’appuie sur son rôle moteur dans la Commission climat du Bassin du Congo pour porter la question autochtone aux sommets mondiaux. La présence prévue de plusieurs délégués bakas à la COP29 est saluée par l’Union africaine comme un signal d’inclusion crédible.
À l’horizon 2030, l’exécutif ambitionne de réduire de 30 % la pauvreté multidimensionnelle au sein des communautés autochtones. Le succès reposera sur une gouvernance transparente, une ingénierie financière innovante et un dialogue permanent ; autant de leviers que Brazzaville affirme vouloir conjuguer au service d’un développement durable partagé.
Pour les spécialistes du développement, le défi consistera à articuler la modernité économique du pays avec la survivance des écosystèmes sociaux autochtones. « L’avenir forestier du Congo se décidera dans la capacité à écouter ceux qui y vivent depuis des millénaires », conclut l’anthropologue Camille Ompio.