Un cap stratégique pour la biodiversité congolaise
Au terme d’un marathon de consultations, le Congo se dote d’une Stratégie et d’un plan d’actions national pour la biodiversité couvrant la période 2025-2030. Le texte, bientôt soumis au conseil des ministres, précise les objectifs, les moyens et le calendrier de la prochaine décennie.
Le document traduit la volonté de sécuriser le patrimoine naturel tout en répondant aux engagements internationaux. À Brazzaville, les experts parlent déjà d’un « tournant programmatique » susceptible de repositionner le pays comme acteur clef du multilatéralisme environnemental.
Une élaboration collective et inclusive
Du 12 au 17 août, près d’une centaine de représentants des administrations, collectivités, ONG, milieux scientifiques et populations autochtones ont confronté leurs analyses. Les échanges, jugés « denses mais constructifs », ont abouti à une version consolidée intégrant plus de 200 amendements.
Cette approche participative confère à la stratégie une légitimité sociale. « Chacun pourra se reconnaître dans la feuille de route », souligne Jeannette Okandzi, sociologue présente à l’atelier, rappelant que la protection des écosystèmes demeure indissociable de la cohésion territoriale.
Une boussole alignée sur le cadre Kunming-Montréal
Le texte transpose les cibles du Cadre mondial pour la biodiversité adopté à Montréal fin 2022. Quinze d’entre elles, jugées prioritaires, sont déclinées au niveau national, depuis la réduction de la pollution plastique jusqu’à la restauration de 30 % des habitats dégradés.
Cette harmonisation facilitera la remontée des indicateurs vers la Convention sur la diversité biologique et renforcera la crédibilité des contributions congolaises lors des futures COP. Le ministère entend publier un tableau de bord annuel accessible au public et aux partenaires.
Indicateurs, budget et gouvernance
Vingt-deux indicateurs de résultat ont été retenus, dont la couverture forestière, l’abondance des espèces clés et l’intégration de la biodiversité dans les plans d’investissement publics. Des seuils intermédiaires pour 2028 permettront de corriger précocement toute dérive.
Le budget prévisionnel, estimé à 320 millions de dollars pour la période 2026-2036, reposera sur un panier comprenant dotations nationales, facilités du Fonds pour l’environnement mondial et obligations vertes. Un secrétariat exécutif permanent veillera à la cohérence intersectorielle.
Enjeux pour les territoires et populations
Les actions ciblées sur les zones périphériques des parcs, où se superposent pressions agricoles et fragilités sociales, illustrent l’articulation entre conservation et développement. Des programmes pilotes d’agroforesterie accompagneront la diversification des revenus ruraux.
« Restaurer un marécage, c’est aussi restaurer la sécurité alimentaire », insiste la ministre Arlette Soudan-Nonault, qui voit dans la biodiversité « la matrice d’une économie plus résiliente ». La stratégie prévoit par ailleurs la valorisation des savoirs traditionnels des peuples autochtones.
Partenariat avec le PNUD et les bailleurs
Le Programme des Nations unies pour le développement a joué un rôle de co-facilitateur scientifique et financier. « Votre engagement transforme ce plan en outil de transformation », a déclaré Adama Dian Barry, représentante résidente, saluant la mobilisation collective.
Des discussions sont ouvertes avec l’Agence française de développement, la Banque africaine de développement et des fonds philanthropiques afin de sécuriser des enveloppes dédiées aux corridors écologiques et au renforcement des aires protégées.
Opportunités économiques et carbone
Le Congo, riche de 23 millions d’hectares de forêts tropicales, table sur les marchés volontaires du carbone pour financer la restauration des tourbières. Les crédits générés pourraient, selon le cabinet Ingesco, atteindre 80 millions de dollars par an d’ici 2030.
Le plan promeut aussi les bioproduits non ligneux, tels que le miel de forêt ou la noix de kola, dont la traçabilité offrira de nouveaux débouchés sur les marchés internationaux, sans compromettre la régénération des peuplements.
Suivi, transparence et diplomatie verte
Un portail numérique rendra publics les jeux de données, invitant universités et ONG à vérifier l’effectivité des mesures. Cette démarche de transparence vise à prévenir la défiance sur l’utilisation des financements climatiques.
Sur le plan diplomatique, Brazzaville entend faire valoir sa stratégie lors du Sommet des Trois Bassins, plaçant la biodiversité au même rang que le climat. « C’est une arme de soft-power », observe Alain Mabanckou, analyste politique basé à Paris.
Une dynamique régionale en Afrique centrale
Le Gabon, la République démocratique du Congo et le Cameroun élaborent également leurs plans post-2020. La synchronisation des calendriers pourrait accoucher d’indicateurs communs, simplifiant la mobilisation des bailleurs et la lutte contre la criminalité faunique transfrontalière.
Des négociations sont déjà en cours pour créer un observatoire sous-régional de la biodiversité, hébergé à Brazzaville, qui mutualiserait données satellites et inventaires biologiques, renforçant la sécurité écologique collective.
Cap sur 2026-2036 : défis et espoirs
L’entrée en vigueur du plan dès 2025 donne un an aux parties prenantes pour affiner protocoles, budgets et formations. Les premiers rapports d’étape, attendus en 2027, constitueront un test grandeur nature de la résilience des institutions chargées de l’environnement.
Si le calendrier est respecté, le Congo pourrait rejoindre le cercle restreint des pays ayant restauré 15 % de leurs écosystèmes terrestres avant 2035. Un horizon ambitieux, mais désormais doté d’une méthode, d’outils et d’une volonté politique clairement affichée.