Cuisson domestique et empreinte carbone
In Pointe-Noire, un parfum de manioc braisé résume l’enjeu énergétique national : 81 % des foyers congolais utilisent encore bois ou charbon pour cuisiner, rappelle l’Agence congolaise de l’énergie domestique. Ce chiffre pèse lourd sur la forêt et la santé.
Selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, la cuisson traditionnelle représente presque la moitié des émissions domestiques de CO₂ du pays et demeure l’un des premiers vecteurs de maladies respiratoires chez les femmes et les enfants urbains comme ruraux.
Réduire cette dépendance, sans bouleverser les pratiques culinaires, constitue donc un levier majeur pour atteindre les engagements climatiques définis dans la Contribution déterminée au niveau national que Brazzaville a renouvelée en 2021 lors de la COP26.
Le projet Lituka, entre santé publique et climat
C’est dans cette perspective qu’est né le projet Lituka, conduit par le ministère de l’Économie forestière et mis en œuvre par l’ONG Initiative Développement, avec l’appui financier de l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale, plateforme partenariale portée notamment par la République du Congo.
Lancée en novembre 2023, l’initiative cible la diffusion de 60 000 foyers améliorés d’ici 2026 à Brazzaville et Pointe-Noire, soit une économie estimée à 180 000 tonnes de bois par an, selon le coordinateur national, Jean-Claude Moussavou.
Le foyer Congo-Mboté, pièce maîtresse du programme, repose sur un double plateau métallique permettant l’usage alternatif du charbon ou du bois. La chambre de combustion concentre la chaleur et réduit de 50 % la consommation de combustible par rapport aux réchauds traditionnels.
Lors d’une séance culinaire organisée le 7 août à Pointe-Noire, des présidentes de mutuelles ont pu préparer saka-saka et poulet moambé en constatant, chronomètre en main, une cuisson plus rapide et une fumée quasi inexistante, détaille la cheffe de projet, Ingrid Mbemba.
Un savoir-faire congolais mis en valeur
Contrairement à d’autres dispositifs importés, le Congo-Mboté est fabriqué localement par un réseau d’artisans-soudeurs de Pointe-Noire et Brazzaville. L’acier recyclé provient des chantiers navals et des garages, réduisant les coûts tout en stimulant l’économie circulaire urbaine.
« Nous produisons déjà 300 unités par semaine et prévoyons de doubler ce volume d’ici la fin de l’année », explique Dieudonné Ndinga, maître-soudeur du quartier Loandjili. Selon lui, la standardisation des gabarits assure une durabilité d’au moins cinq ans, même en usage intensif.
L’ONG Initiative Développement accompagne aussi les groupements féminins dans la commercialisation, en proposant un micro-crédit tournant géré par les mutuelles. Le prix de vente, 8000 francs CFA, reste inférieur au coût mensuel moyen du charbon, ce qui accélère l’amortissement domestique.
Regards croisés d’expertes
Pour la sociologue Simone Oko, spécialiste du genre à l’Université Marien-Ngouabi, « associer les femmes dès la conception renforce l’acceptabilité technologique et diffuse plus vite les innovations dans les foyers, car ce sont elles qui arbitrent les dépenses énergétiques quotidiennes ».
De son côté, le pneumologue Patrice Kassa observe déjà, dans son centre de Makélékélé, une baisse de 15 % des consultations pour toux chronique parmi les ménages pilotes équipés depuis six mois. « La qualité de l’air intérieur s’améliore nettement », insiste-t-il.
Les économistes du Centre d’études pour le développement durable chiffrent, eux, le gain macroéconomique potentiel à plus de deux milliards de francs CFA par an, grâce à la réduction des importations de charbon de bois et à l’allégement des dépenses sanitaires publiques.
Ces indicateurs corroborent l’hypothèse avancée par la Banque mondiale selon laquelle chaque franc investi dans les foyers améliorés génère jusqu’à quatre francs de bénéfices socio-environnementaux sur le long terme, notamment en matière de carbone évité.
Perspectives pour 2026
Les autorités locales envisagent déjà d’étendre le schéma à Dolisie et Owando. Un comité intersectoriel, associant énergie, santé, affaires sociales et environnement, est chargé d’évaluer trimestriellement les indicateurs de diffusion et les gains de biomasse dans chaque département.
« Notre ambition est qu’en 2030, la moitié des ménages urbains cuisinent avec des foyers améliorés ou des solutions à gaz », souligne le directeur général de l’Énergie, Florent Samba, qui salue une dynamique conforme à la Vision 2030 du chef de l’État.
Pour soutenir cette trajectoire, la coopération française a annoncé l’octroi d’une ligne de crédit verte de dix millions d’euros destinée à renforcer les chaînes de production locales et à subventionner les premiers achats dans les quartiers périphériques.
Les défis subsistent : suivi rigoureux, disponibilité du combustible durable et évaluation carbone normalisée. Pourtant, la démonstration culinaire du 7 août a rappelé qu’un simple ustensile peut catalyser une transition énergétique inclusive, en phase avec les priorités nationales et les engagements internationaux.
Un partenariat avec l’Université de Kisantu doit installer quarante capteurs de particules fines dans les cuisines témoins afin de comparer, sur douze mois, les concentrations de PM2,5 entre foyers traditionnels et Congo-Mboté.
Les premiers relevés, attendus en mars 2024, orienteront la calibration du futur label national « Cuisine propre », actuellement à l’étude, qui pourrait offrir des incitations fiscales aux fabricants et aux familles embrassant la sobriété énergétique.