Un paysage urbain contrarié par les déchets
Dans les quartiers pavillonnaires de Talangaï, Moukondo ou Tié-Tié, l’œil du visiteur se heurte à des monticules de détritus jouxtant des avenues récemment réhabilitées. Ces mini-décharges, alimentées quotidiennement par des apports domestiques, symbolisent les fractures d’une modernité urbaine qui peine encore à digérer sa propre production de déchets solides. L’Observatoire congolais de l’environnement estime à près de 1 200 tonnes la quantité quotidienne d’ordures générées par Brazzaville, dont un tiers seulement rejoint une filière de collecte structurée. La dissémination sauvage n’est plus un épiphénomène ; elle affecte la qualité de l’air, favorise la stagnation des eaux pluviales et accroît les risques vectoriels liés au paludisme et à la dengue, comme le rappelle la Direction générale de la santé (2024).
Civisme domestique et déterminants sociologiques
La banalisation du geste de dépôt s’inscrit, selon la sociologue Clarisse Ngoma, « dans une économie morale où la responsabilité individuelle s’estompe au profit d’une perception de gratuité de l’espace public ». Les enquêtes de proximité témoignent d’une ambivalence : les ménages reconnaissent les nuisances sanitaires, mais considèrent le ramassage comme un service exogène auquel ils contribuent déjà par la fiscalité locale. Cette dissonance se nourrit d’une relative méconnaissance des impacts écologiques à long terme et d’un capital civique encore fragile. Pourtant, l’engagement citoyen n’est pas absent. Des associations de jeunes, telles que Towa-Verte à Makélékélé, organisent des collectes hebdomadaires et des ateliers de sensibilisation, préfigurant une mutation des pratiques sociales.
Dispositifs publics en mutation
Face à l’ampleur du phénomène, les pouvoirs publics congolais ont entrepris une série d’innovations. La contractualisation, le 23 avril 2025, avec le groupe turc Albayrak pour la délégation de service public de collecte marque un tournant : l’entreprise opère désormais avec une flotte initiale de vingt-cinq camions et 250 agents formés à la logistique de proximité. Parallèlement, la mairie de Brazzaville expérimente les Aires de Transit des Ordures Ménagères, ou ATOM, destinées à regrouper les déchets dans des points contrôlés avant évacuation vers les centres d’enfouissement. Selon le maire Dieudonné Bantsimba, « l’objectif est de réduire de 60 % les dépôts anarchiques d’ici à deux ans tout en créant une filière de valorisation ». Les premières données opérationnelles indiquent déjà une baisse visible des amas autour des marchés Total et Moungali.
Une gouvernance articulée et inclusive
La réussite de ces dispositifs repose sur une coordination interinstitutionnelle qui se renforce. Le ministère de l’Environnement pilote désormais un comité technique associant l’Agence française de développement, la Banque mondiale et plusieurs ONG locales afin d’optimiser le transfert de compétences aux municipalités. L’enjeu est de dépasser la simple collecte pour intégrer la notion d’économie circulaire : tri à la source, compostage des biodéchets, filière plastique. Dans cette perspective, l’Institut national de recherche en sciences exactes projette l’ouverture d’une unité-pilote de transformation des résidus organiques en biogaz, susceptible d’alimenter les cuisines scolaires dès 2027.
Perspectives pour une ville résiliente
La multiplication des initiatives publiques et privées traduit la prise de conscience qu’une ville attractive ne peut se concevoir sans une salubrité maîtrisée. Les célébrations du 65e anniversaire de l’indépendance offrent une fenêtre symbolique pour accélérer les programmes : extension du parc-camions, instauration d’abonnements familiaux au service de collecte et campagnes d’éducation environnementale dans les lycées. La démographie urbaine croissant de 3 % par an impose d’inscrire ces mesures dans la durée. Les expertises convergent : la réduction des flux de déchets à la source, couplée à une valorisation locale, constitue le levier central d’une stratégie bas-carbone conforme aux engagements climatiques du Congo dans le cadre de l’Accord de Paris.
Le défi du long terme
Rétablir un environnement sain dans les quartiers résidentiels ne relève ni d’un miracle technologique ni d’un seul décret. Il s’agit d’un chantier de société où État, collectivités, opérateurs et citoyens convergent vers un même horizon : celui d’une ville résiliente, sobre et inclusive. Les premières avancées, modestes mais tangibles, démontrent que le pari est atteignable dès lors que la pédagogie, la rigueur opérationnelle et l’innovation financière s’imbriquent. La salubrité publique se révèle ainsi un baromètre pertinent de la gouvernance urbaine contemporaine, et une clef de voûte pour le bien-être des générations futures.