Un forum océanique tourné vers l’innovation
Réunis sur les rives de l’Atlantique, à Oeiras, les décideurs publics et privés participant au Bluetech Ocean Forum 2025 ont élargi le spectre des discussions traditionnelles sur la gouvernance des océans. La manifestation, soutenue par la Commission européenne et plusieurs agences onusiennes, a privilégié les solutions technologiques capables d’articuler croissance et sobriété carbone. Dans ce théâtre diplomatique, l’Afrique, forte de 38 États côtiers, bénéficiait d’une tribune stratégique pour exposer une vision renouvelée de son avenir maritime.
La session consacrée aux « ponts intercontinentaux » a ainsi souligné le rôle croissant du Sud global dans la redéfinition des chaînes logistiques et énergétiques. Les experts ont rappelé que, d’ici 2030, près de 20 % de la production mondiale d’énergies renouvelables pourrait dépendre directement des espaces maritimes, du développement de l’éolien offshore au recours à l’hydrogène vert pour la propulsion navale.
Le Maroc, porte-voix des potentialités africaines
Désignée pour porter la voix continentale, la délégation marocaine conduite par la professeure Sarra Sefrioui, de l’Université Abdelmalek Essaâdi de Tanger, a mis en exergue un triptyque stratégique : gouvernance juridique, intégration logistique et innovation technoscientifique. Dans son intervention, l’universitaire a insisté sur la consolidation d’un cadre normatif aligné sur la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, un préalable, selon elle, à la captation d’investissements pérennes.
Illustration concrète de cette dynamique, le port atlantique de Dakhla, en chantier sur la façade sud du Royaume, traduit une ambition régionale. Limam Bousif, directeur de Techla Frigo, a détaillé un programme chiffré à plus de 12 milliards de dirhams intégrant des terminaux dédiés au cabotage vert et des fermes photovoltaïques destinées à alimenter les activités de manutention. « Notre objectif est de réduire de 40 % l’empreinte carbone logistique en première phase », a-t-il déclaré en marge du forum.
Les avancées rapportées en aquaculture durable, biotechnologies marines et valorisation des bio-ressources côtières ont également illustré la capacité d’entraînement du Maroc. L’Agence nationale pour le développement de l’aquaculture annonce déjà plus de 200 projets autorisés, majoritairement pilotés par des PME familiales, gage d’un maillage territorial inclusif.
Vers une synergie intercontinentale pour la neutralité carbone
Au-delà de la seule façade atlantique, plusieurs acteurs asiatiques – notamment singapouriens et sud-coréens – ont exprimé leur intérêt pour des partenariats triangulaires. Cette configuration vise à mobiliser capital, expertise numérique et marchés de débouché afin de mettre à l’échelle des solutions africaines, qu’il s’agisse de cold-ironing, d’algoculture à haute valeur ajoutée ou de biomatériaux issus des sargasses.
La coalition pour un transport maritime zéro émission, dont l’Organisation maritime internationale assurera le secrétariat, a rappelé que la route de l’Atlantique Sud constitue un laboratoire grandeur nature pour tester des corridors verts. Les analyses présentées par le cabinet néerlandais CE Delft indiquent qu’en couplant propulsion hybride et carburants de synthèse, le coût différentiel du fret pourrait être maîtrisé à moins de 8 % par conteneur sur ces axes, un écart considéré acceptable par les chargeurs.
Dans ce contexte, les acteurs financiers africains, tels que la Banque africaine de développement, se disent prêts à intensifier les lignes de crédit vertes, à condition que les États consolident leurs cadres de régulation et garantissent la transparence des concessions portuaires.
Perspectives pour l’Afrique centrale et le Congo
Si le Maroc s’est affirmé comme tête de proue dans ce forum, la résonance de ses propositions ne saurait occulter la spécificité des bassins fluviaux centrafricains. Le Congo, doté d’un linéaire côtier relativement modeste mais traversé par un réseau hydrographique parmi les plus denses d’Afrique, dispose d’atouts singuliers pour développer une économie bleue intérieure, fondée sur la pisciculture douce, le transport fluvial décarboné et la valorisation des zones humides.
Les autorités congolaises ont, ces dernières années, formulé des plans directeurs pour la modernisation du Port Autonome de Pointe-Noire et l’équipement de ports secs le long du corridor Congo-Oubangui-Sangha. En alignant ces initiatives sur les standards présentés à Oeiras – digitalisation des chaînes de froid, électrification des barges, préservation des mangroves –, Brazzaville pourrait renforcer son attractivité logistique tout en contribuant à l’effort continental de neutralité carbone.
Plus largement, l’adhésion du Congo à la Convention d’Abidjan et son partenariat croissant avec l’Organisation de mise en valeur du fleuve Congo sont perçus comme des cadres propices pour capter les financements destinés aux infrastructures bleues. « Les projets fluviaux à haute intensité écologique représentent un gisement d’emplois qualifiés et de transfert technologique que l’Afrique centrale ne doit pas sous-estimer », analyse le sociologue camerounais Lucien Mvondo, observateur des politiques environnementales régionales.
Un agenda continental en gestation
Au terme des travaux du Bluetech Ocean Forum 2025, un consensus s’est dessiné : l’Afrique, riche de 30 000 kilomètres de côtes et d’une mosaïque de fleuves navigables, possède les ressources biologiques et la marge de croissance nécessaires pour inscrire son économie bleue parmi les leviers majeurs de sa transformation structurelle.
Cependant, la concrétisation de cette ambition suppose une orchestration fine des politiques publiques, un renforcement des capacités scientifiques locales et une implication soutenue du secteur privé. Les signaux envoyés par le Maroc, tant sur le plan normatif que sur le terrain, plaident pour une approche pragmatique, combinant les impératifs environnementaux aux logiques de compétitivité internationale.
À la sortie du forum, Sarra Sefrioui a lancé un appel à la mutualisation des connaissances entre universités africaines, jugeant « indispensable de bâtir des alliances académiques sud-sud pour que chaque avancée ne reste pas un îlot de succès, mais irrigue réellement le continent ». Un horizon qui, s’il se concrétise, pourrait préfigurer l’émergence d’une diplomatie océanique africaine unie et proactive.