Feu vert pour une transition électrique inclusive
Au cœur des discussions ouvertes à Brazzaville le 22 juillet dernier, le Pacte national de l’énergie – ou programme « Électricité pour tous » – apparaît comme une pierre angulaire de la stratégie de développement durable de la République du Congo. Porté par le ministère de l’Énergie et de l’Hydraulique, ce dispositif entend connecter plus de 800 000 foyers d’ici 2030 dans les localités dépassant le seuil de mille habitants, avant d’étendre la couverture à l’ensemble du territoire à l’horizon 2035. Il s’inscrit dans la dynamique internationale promue par l’Agenda 2030 des Nations unies et répond aux engagements nationaux pris à Dar es-Salaam en janvier 2025, sous l’impulsion du chef de l’État. Le projet ambitionne de métamorphoser un secteur fragilisé par l’obsolescence des infrastructures et par un déséquilibre persistant entre l’offre et la demande, tout en favorisant une croissance bas carbone.
Un pacte catalyseur d’investissements responsables
Conçu comme une plateforme multipartite, le pacte mobilise le Programme des Nations unies pour le développement, la Fondation Rockefeller, le Fonds monétaire international et la Banque mondiale – cette dernière examinera le dossier en septembre à New York dans le cadre de la Mission 300. L’architecture financière combine subventions concessionnelles, crédits à long terme et mécanismes d’atténuation des risques destinés à sécuriser les capitaux privés. Selon une note de cadrage du ministère congolais des Finances, l’enveloppe prévisionnelle oscille autour de 1,2 milliard de dollars, dont près d’un tiers consacré au renforcement du réseau de transport et de distribution. La logique retenue privilégie un effet de levier maximal : chaque dollar public espère en attirer deux du secteur privé, notamment pour les fermes solaires et les mini-centrales hydroélectriques de moyenne puissance.
Synergies institutionnelles et cadre de gouvernance
Le dispositif entend dépasser la fragmentation historique des interventions. La Plateforme de coordination du secteur de l’énergie, inaugurée simultanément au lancement des consultations publiques, réunit représentants ministériels, bailleurs, opérateurs, collectivités et société civile. Cette configuration offre un forum de dialogue permanent destiné à harmoniser planification et régulation, tout en assurant le suivi-évaluation des projets. Pour le ministre Émile Ouosso, « la réussite d’une telle entreprise exige une synergie authentique des institutions, du capital privé et des organisations communautaires ». Dans les faits, un secrétariat technique adossé à l’Agence de régulation du secteur de l’électricité contrôlera les appels d’offres, veillera à l’intégrité des procédures et publiera des indicateurs trimestriels de performance. Cette transparence est jugée indispensable pour maintenir la confiance des investisseurs internationaux.
Innovation technologique au service du climat
Le mix énergétique projeté repose sur une diversification ambitieuse : solaire photovoltaïque dans les zones septentrionales bénéficiant d’un ensoleillement annuel supérieur à 2 000 kWh/m², micro-hydroélectricité le long des affluents du fleuve Congo, turbines hydroliennes pour valoriser le potentiel fluvial et biomasse issue des résidus agro-industriels dans les terroirs forestiers. En complément, des kits solaires domestiques et des mini-réseaux intelligents seront déployés hors réseau pour réduire l’empreinte carbone des groupes électrogènes diesel encore très répandus. D’après les projections du PNUD, ces solutions pourraient éviter l’émission de 1,8 million de tonnes de CO₂ entre 2024 et 2035, contribuant ainsi aux objectifs de la Contribution déterminée au niveau national déposée par Brazzaville en 2021.
Retombées socio-économiques attendues
Au-delà de l’infrastructure, le programme vise à transformer le quotidien des ménages et à dynamiser les tissus productifs locaux. Une électricité fiable et abordable constitue un socle pour la modernisation de l’agriculture irriguée, la chaîne du froid, la télémédecine, l’enseignement numérique ou encore les services bancaires dématérialisés. Le gouvernement estime que chaque point de pourcentage gagné dans le taux d’électrification pourrait induire une hausse de 0,3 point du produit intérieur brut. Par ailleurs, la politique tarifaire annoncée – indexée sur la capacité contributive des ménages vulnérables – intégrera un mécanisme de péréquation croisée financé par les économies réalisées sur les pertes techniques et commerciales. Pour la représentante résidente du PNUD, Adama Dian Barry, « l’accès universel n’est pas un luxe mais un droit fondamental, catalyseur d’équité et de dignité humaine ».
Défis structurels et marges de progression
Le chantier reste toutefois jalonné de défis. La vétusté de certaines lignes de transport, héritées des années 1980, occasionne des taux de pertes techniques supérieurs à 25 %. La maintenance prédictive et la digitalisation du dispatching figurent donc parmi les premières mesures à financer. Sur le plan institutionnel, l’impératif de formation des techniciens locaux se fait pressant : l’Institut supérieur de technologie appliquée de Pointe-Noire envisage d’ouvrir une filière spécialisée en réseaux intelligents dès la rentrée 2025. Enfin, la solvabilité des opérateurs historiques devra être consolidée afin de prévenir l’accumulation d’arriérés qui freine l’investissement. Les partenaires internationaux, conscients de ces contraintes, prônent une approche progressive fondée sur des jalons trimestriels et des audits indépendants.
Horizon 2030-2035, un agenda aligné sur les ODD
À mesure que se précise la signature du Pacte à New York en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, l’électrification universelle congolaise se profile comme un levier essentiel pour atteindre les Objectifs de développement durable, notamment l’ODD 7 relatif à l’énergie propre et d’un coût abordable. Les observateurs soulignent la cohérence entre cette initiative et les engagements climatiques régionaux portés par la Commission du Bassin du Congo. Si la mobilisation financière et la rigueur de mise en œuvre demeurent les conditions de la réussite, la trajectoire adoptée par Brazzaville illustre une volonté politique affirmée de concilier impératif social, rationalité économique et responsabilité écologique. Le pari, ambitieux mais réaliste, ouvre la voie à une nouvelle configuration énergétique capable de soutenir une croissance inclusive tout en préservant l’un des plus grands puits de carbone de la planète.