Un tournant budgétaire pour la décentralisation congolaise
Depuis l’adoption de la loi fondatrice de 2003, la décentralisation congolaise avance par paliers. La récente venue à Brazzaville du professeur Jean Girardon, maire de Mont-Saint-Vincent et universitaire à la Sorbonne, a ravivé le débat sur l’adéquation entre les compétences transférées et les dotations budgétaires. Reçu par le président du Sénat Pierre Ngolo, l’édile bourguignon a salué « une architecture institutionnelle prometteuse », tout en soulignant l’exigence d’une assise financière solide. Son propos, formulé avec bienveillance, réaffirme que la crédibilité d’un État se mesure aussi à la capacité de ses territoires à agir.
Compétences transférées : l’équation des moyens
Les textes congolais confient désormais aux communes la gestion de l’état civil, de l’éclairage public ou encore de la petite voirie. Autant de domaines où la proximité garantit une meilleure réactivité. Mais, comme l’a rappelé Jean Girardon, « donner des compétences sans ressources revient à condamner l’action publique à l’inefficacité ». Les budgets locaux demeurent tributaires à près de 80 % des dotations centrales, ce qui limite la marge de manœuvre des exécutifs municipaux. Dans un pays où la fiscalité locale reste embryonnaire, l’enjeu consiste à sécuriser des transferts financiers pérennes, tout en accompagnant les élus dans la montée en compétence de leurs services.
Le statut des élus, clé de voûte de la gouvernance territoriale
La consolidation de la décentralisation passe aussi par l’encadrement juridique des mandats. Le statut des élus locaux, en cours d’actualisation, doit concilier deux impératifs : susciter des vocations et garantir l’intégrité. En offrant, par exemple, une indemnisation raisonnable et une protection sociale aux maires de petites communes, l’État favorise l’émergence de compétences nouvelles issues de la société civile. Dans le même mouvement, un code de déontologie renforcé, déjà esquissé dans les travaux parlementaires, constitue un garde-fou contre les dérives clientélistes, préservant ainsi la légitimité démocratique chèrement acquise.
Coopérations verticales et synergies intercommunales
La géographie administrative congolaise superpose communes, districts et départements. Pour éviter les redondances, une répartition fonctionnelle des compétences est recherchée, notamment dans des secteurs de développement endogène comme le tourisme fluvial ou l’agroforesterie. Le maire français a plaidé pour une « coordination intelligente » entre niveaux, insistant sur la nécessité de conventions de projets pluriannuelles. Cette approche, encouragée par le gouvernement, permettrait de mutualiser les ressources humaines et de créer des effets d’échelle, là où les recettes fiscales sont encore modérées.
Benchmarking international : capitaliser sur les bonnes pratiques
Le Congo, engagé dans plusieurs programmes avec la Banque mondiale et l’Union africaine, mise sur l’échange d’expériences pour accélérer ses réformes. La présence de Jean Girardon à l’atelier de renforcement des capacités des sénateurs du Parti congolais du travail s’inscrit dans cette logique d’ouverture maîtrisée. Sans calquer aveuglément des modèles étrangers, Brazzaville entend comparer, adapter et innover. Cette démarche pragmatique, saluée par les partenaires techniques, montre que la souveraineté s’exerce aussi par la sélection raisonnée des outils de gouvernance.
Cap vers 2025 : des collectivités plus autonomes et responsables
À l’horizon 2025, le ministère de la Décentralisation projette d’augmenter de 30 % la part des ressources transférées aux communes, tout en instaurant un fonds d’incitation fondé sur la performance. L’idée, inspirée des pratiques de la Communauté économique des États d’Afrique centrale, est de récompenser les collectivités qui améliorent la mobilisation fiscale locale et la qualité de leurs dépenses. Les maires interrogés à Brazzaville estiment que ce levier financier, adossé à des indicateurs transparents, renforcerait la culture de résultat déjà encouragée par le plan national de développement.
Un État stratège à l’écoute des territoires
En définitive, la décentralisation congolaise avance dans un cadre où l’État conserve un rôle d’impulsion stratégique, sans pour autant brider l’initiative locale. Le président Denis Sassou Nguesso, lors de son adresse sur l’état de la Nation, a rappelé que « la République a tout à gagner d’une proximité institutionnelle efficace ». La présence de personnalités étrangères de renom comme Jean Girardon illustre la confiance placée par la communauté internationale dans le modèle congolais en gestation. Reste à transformer l’essai : octroyer des moyens prévisibles, professionnaliser les élus et renforcer les mécanismes de reddition de comptes. À ce prix, l’ambition décentralisatrice pourra se traduire, sur le terrain, par des services publics tangibles et une démocratie de proximité consolidée.