Brazzaville au carrefour des symboles militaires et économiques
Le salon d’honneur d’un grand hôtel de Brazzaville s’est transformé, le 17 juillet, en forum stratégique où la mémoire militaire chinoise croisait les enjeux économiques congolais. Sous les lumières tamisées, la nouvelle ambassadrice de Chine, Mme An Qing, a rappelé que l’Armée populaire de libération (APL) ne se réduit pas à une force combattante : elle est, selon ses mots, « un pilier de la souveraineté chinoise et un moteur de modernisation nationale ». La présence du ministre congolais de la Défense, Charles Richard Mondjo, soulignait la dimension bilatérale et l’intérêt de Brazzaville pour un partenaire dont l’influence géopolitique, budgétaire et technologique ne cesse de s’étendre sur le continent.
Une armée à la genèse idéologique singulière
Née au creuset des guerres révolutionnaires agraires avant d’être baptisée dans la résistance contre l’agression japonaise, l’APL demeure structurée par l’héritage du Parti communiste chinois. Les sacrifices consentis lors des longues Marches et des campagnes de libération nationale façonnent aujourd’hui une rhétorique d’efficacité et de loyauté qui légitime sa place dans l’architecture institutionnelle de la République populaire. Pour Pékin, commémorer la fondation de l’APL revient à réaffirmer le lien organique entre puissance militaire et développement socio-économique, un lien que le président Xi Jinping qualifie de « couplage civilo-militaire ».
Les opérations de paix comme vecteur de soft power
Premier fournisseur de troupes parmi les membres permanents du Conseil de sécurité et second contributeur financier aux opérations de maintien de la paix, Pékin se projette sur les cinq continents. Depuis 1992, plus d’un demi-million de Casques bleus chinois ont servi dans une trentaine de missions, faisant de l’APL un acteur crédible de stabilisation multilatérale. Ce déploiement répond autant à la recherche de sécurité des corridors commerciaux qu’au désir d’affirmer une responsabilité internationale, souvent présentée comme la marque d’un multilatéralisme « authentiquement inclusif ». La diplomate An Qing a insisté sur « la valeur ajoutée d’une armée qui, sans hégémonie, offre des biens publics mondiaux » : discours calibré pour rassurer ses interlocuteurs africains et pour contrer la critique d’un expansionnisme latent.
Un partenariat sécuritaire à géométrie pragmatique
Au Congo, la coopération militaire sino-congolaise a franchi un palier, matérialisée par la formation de marins congolais à Qingdao, des échanges d’expertise en matière de médecine militaire et l’organisation d’exercices conjoints côtiers. Brazzaville y voit un moyen d’étoffer ses capacités navales tout en diversifiant ses partenariats, dans un contexte régional où la piraterie dans le golfe de Guinée et la contrebande fluviale imposent une vigilance accrue. Pékin, de son côté, consolide un réseau d’alliances sécuritaires qui soutient ses engagements économiques, notamment dans la filière pétrolière et les grands chantiers infrastructures de la vallée du fleuve Congo.
Convergence des trajectoires de développement
La diplomatie économique chinoise s’articule autour de ce que les analystes appellent un « triptyque » : infrastructures, ressources et financement concessionnel. Le Congo, premier partenaire commercial de la Chine en Afrique centrale, bénéficie de travaux routiers, de projets hydroélectriques et d’un apport technologique dans le numérique. L’accord de partenariat économique pour l’épanouissement partagé, signé comme projet pilote continental, instaure un cadre prévisible et rassure les investisseurs. Si certains économistes pointent les risques d’alourdissement de la dette, le gouvernement congolais insiste sur la « valorisation endogène » des ressources et sur les transferts de compétence rendus possibles par ce compagnonnage.
Regards diplomatiques sur la coopération Sud-Sud
Au-delà des chiffres commerciaux, le discours officiel congolo-chinois mobilise la notion de « bénéfice mutuel », concept clef de la coopération Sud-Sud. Mme An Qing assure vouloir « écrire de nouveaux chapitres » en s’appuyant sur les dix actions de partenariat définies par les deux chefs d’État. Les observateurs voient dans cette formulation la volonté de positionner Brazzaville comme un laboratoire d’expérimentation des nouvelles routes de la soie d’un point de vue sécuritaire et social, et non plus uniquement logistique. Au plan politique, le président Denis Sassou Nguesso, souvent salué pour sa constance diplomatique, trouve dans la relation avec Pékin un relais d’influence et un levier budgétaire, tout en évitant la dépendance exclusive à un seul bailleur.
Entre realpolitik et symbolique commémorative
En célébrant l’APL, Brazzaville et Pékin orchestrent une convergence d’intérêts. La cérémonie, d’apparence protocolaire, actualise une alliance qui se nourrit d’échanges d’officiers, de contrats d’ingénierie et d’un dialogue politique régulier. Pour les diplomates présents, il s’agissait moins d’un simple anniversaire que d’un signal : la sécurité collective et la croissance inclusive demeurent indissociables. L’APL, dressée en archétype d’une armée au service du peuple, devient ainsi l’icône d’un partenariat stratégique global que les deux capitales ambitionnent d’élever, dans les mots de la diplomate, à des « hauteurs toujours plus élevées ».
Perspectives : consolidation et vigilance
A court et moyen termes, l’agenda sino-congolais pourrait s’élargir à la cybersécurité, aux énergies renouvelables et aux industries culturelles, champs qui prolongent naturellement la coopération militaire et économique. La logique gagnant-gagnant revendiquée par les deux parties sera scrutée par la communauté internationale, attentive aux conditions de financement, à la transparence des appels d’offres et à la soutenabilité des projets. Pour l’heure, le Congo mise sur l’expertise technique et la puissance logistique de la Chine, tandis que Pékin consolide un partenariat africain jugé exemplaire par ses stratèges. Le 98ᵉ anniversaire de l’APL aura ainsi fourni, au-delà des uniformes et des décorations, une tribune pour réaffirmer que le multilatéralisme pragmatique reste, pour les deux États, le socle de leur avenir commun.