Une mémoire littéraire en uniforme
Sous les frondaisons du Centre culturel de la capitale, le bruissement discret des feuilles s’est mêlé, le 15 juillet, au murmure savant des lettrés réunis pour la seizième Journée nationale des Anciens enfants de troupe. Une assemblée d’officiers en tenue d’apparat, de critiques, d’étudiants et de diplomates a ainsi inauguré le premier café littéraire de l’association, consacrant d’emblée sa tribune à l’œuvre protéiforme du général de brigade Claude Emmanuel Eta-Onka, rappelé à Dieu le 25 décembre 2024. Ce choix symbolique, loin d’être anodin, inscrit la commémoration dans une dynamique de valorisation de l’héritage intellectuel des forces armées, au cœur d’une République qui ne cesse de revendiquer la symbiose entre sabre et plume.
Le lyrisme enraciné d’un général-poète
Panéliste principal, le secrétaire général adjoint des Aet, Serge Eugène Ghoma Boubanga, a déroulé une exégèse minutieuse de la production poétique du disparu. Sur onze ouvrages recensés, cinq recueils de vers rappellent que le général, auréolé dès 1973 du prix de poésie du dixième anniversaire de la Révolution, tenait l’alexandrin pour une discipline d’ascèse. Ses textes, lit-on, portent l’empreinte d’une enfance rythmée par les tambours régimentaires, d’une carrière sportive sous les drapeaux et du parfum des manguiers de la Cuvette. Au-delà de la célébration identitaire, son œuvre déploie un chant nationaliste mesuré, où le motif de la tradition épouse les contours d’une modernité africanisée. « Eta-Onka, observe M. Ghoma Boubanga, demeure un conservateur qui savait conjuguer les ruptures de l’histoire au temps long des lignages », une formulation qui souligne l’élégance d’un artisan de la langue refusant l’exotisme superficiel.
Entre caserne et bibliographie, un patrimoine menacé
Si la ferveur commémorative ne souffre d’aucun doute, la réalité éditoriale demeure plus incertaine. Nombre des ouvrages initialement confiés à de petites maisons d’édition locales ont disparu des rayons, victimes de tirages confidentiels, de faillites et parfois de l’humidité équatoriale. L’absence de ces textes sur le marché révèle l’un des angles morts de la politique du livre au Congo : la sauvegarde des manuscrits militaires. Le constat formulé par l’orateur rejoint les préoccupations d’archivistes qui, depuis quelques années, célèbrent l’urgence d’un dépôt légal renforcé. Le risque n’est pas seulement patrimonial ; il est également générationnel, car chaque recueil égaré soustrait aux jeunes recrues un pan de mémoire susceptible de cimenter le sentiment d’appartenance à la nation.
Un jalon pour la politique culturelle nationale
La présence du conseiller à la culture du Président de la République, le professeur Kadima Nzouzi, a conféré à la rencontre une portée institutionnelle. Suggérant l’organisation d’un colloque consacré aux écritures militaires, le haut fonctionnaire a inscrit l’initiative dans la continuité des orientations présidentielles en faveur de la diplomatie culturelle. À l’heure où les protocoles de coopération sud-sud intègrent la valorisation des industries créatives, l’hommage à Eta-Onka éclaire la capacité des forces armées à nourrir le soft power congolais. L’École préparatoire Général-Leclerc, en célébrant son jubilé, pourrait ainsi devenir le laboratoire d’une sociologie littéraire où l’expérience du terrain rencontre l’exigence académique.
Prospectives : relancer l’édition militaire congolaise
Au terme des échanges, une conviction s’est dégagée : l’avenir de l’œuvre d’Eta-Onka passe par une stratégie de republication adossée à un partenariat entre l’association des Aet, les éditeurs et les bibliothèques publiques. Déjà, le Forum des gens de lettres, conduit par l’écrivain Jessy Loemba, explore la piste d’une collection « Caserne et Lettres » qui offrirait, à intervalle régulier, des tirages respectables, accessibles aux centres de lecture des garnisons. Pareille démarche rejoindrait les attentes des organisations internationales qui plaident pour une démocratisation de la lecture en Afrique centrale. Plus largement, elle prolongerait l’effort de modernisation entrepris par le gouvernement pour consolider le socle culturel d’un développement endogène, un objectif que la célébration de Brazzaville vient subtilement rappeler. Le café littéraire aura donc fait bien plus qu’évoquer un nom : il a rouvert la voie d’un dialogue entre la mémoire combattante et la communauté savante, offrant à la République un supplément d’âme aussi discret qu’indispensable.