Pointe-Noire, carrefour diplomatique des chargeurs
Il aura suffi de trois journées pour que Pointe-Noire, moteur économique de la République du Congo, se transforme en agora panafricaine des transports. Sous la haute autorité d’Ingrid Olga Ghislaine Ebouka Babackas, ministre des Transports, de l’Aviation civile et de la Marine marchande, les 10e Journées du chargeur africain ont réuni du 14 au 16 juillet les représentants de dix-neuf États membres de l’Union des conseils des chargeurs africains (UCCA). La présence remarquée de délégations venues aussi bien du golfe de Guinée que du Sahel, aux côtés du secrétariat de la Zone de libre-échange continentale africaine, a souligné l’intérêt stratégique d’un événement placé sous le thème : « Les conseils des chargeurs africains face aux enjeux contemporains des transports maritimes et du commerce international ».
Dans les travées du Centre international de conférences, les directeurs généraux des conseils des chargeurs de l’Angola au Togo, appuyés par les experts de l’Organisation maritime de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, ont salué le rôle fédérateur joué par les autorités congolaises. Au-delà du décorum, la rencontre a cristallisé les attentes d’un secteur appelé à répondre simultanément à la mutation des chaînes logistiques, à l’impératif environnemental et à l’intégration continentale.
Des défis logistiques à l’aune des transitions globales
Les discussions, parfois ardues, ont mis en lumière la persistance de surcoûts logistiques grévant la compétitivité des économies africaines. À la volatilité des taux de fret s’ajoutent des charges connexes, dont l’impact se révèle particulièrement aigu pour les pays sans façade maritime. « Nos corridors sont trop souvent freinés par des barrières physiques et réglementaires qui ralentissent la fluidité des échanges », a noté Dominique Candide Fabrice Koumou Boulas, directeur général du Conseil congolais des chargeurs, en clôturant les travaux.
Face à cet écueil, les participants ont défendu une approche systémique. L’amélioration des infrastructures portuaires doit s’articuler avec une rationalisation douanière et l’émergence d’observatoires de performance. Dans une perspective sociologique, il s’agit de dépasser la simple modernisation technique pour instaurer une gouvernance logistique inclusive, capable de concilier sobriété environnementale et nécessité de croissance.
L’intelligence artificielle change la donne portuaire
Longtemps cantonnée à la théorie, la digitalisation pénètre désormais les terminaux africains. Les tables rondes consacrées à l’intelligence artificielle ont montré que la data devient l’alliée incontournable d’une sûreté portuaire renforcée et d’une meilleure anticipation des flux. Dans le sillage de la stratégie numérique impulsée par Brazzaville, plusieurs délégations ont présenté des prototypes d’outils de traçabilité permettant de réduire la durée d’escale et de sécuriser la chaîne documentaire.
Cette irruption technologique interroge néanmoins les capacités de formation des opérateurs locaux. Les experts ont plaidé pour la création de pôles de compétences régionaux, estimant que l’appropriation des algorithmes par les chargeurs africains conditionne l’émergence d’avantages comparatifs durables. L’enjeu est double : accélérer la transition numérique tout en évitant une dépendance asymétrique vis-à-vis de prestataires externes.
Zlecaf et corridors : le pari de l’intégration
Cinq ans après l’opérationnalisation du marché unique, la Zlecaf demeure un projet en construction. Les conseils des chargeurs, de concert avec l’UCCA, ont souligné la nécessité d’une feuille de route commune pour traduire l’ambition politique en réalités logistiques. L’idée d’une stratégie unifiée de mise en œuvre, appuyée sur les instruments juridiques de la Chambre de commerce internationale, s’est progressivement imposée au fil des débats.
Sur le terrain, le développement des corridors inter-États apparaît comme le catalyseur de cette intégration. Du chemin de fer Congo-Océan modernisé au projet de route transsahélienne, les infrastructures se veulent désormais des épines dorsales assurant l’arrimage des hinterlands enclavés aux grands ports de l’Atlantique. Ce maillage suppose une diplomatie des transports proactive, à laquelle le Congo-Brazzaville, par sa position géostratégique, entend contribuer.
Vers une gouvernance concertée et responsable
Les recommandations finales, adoptées par acclamation, reflètent une volonté de co-construction. Les conseils des chargeurs se sont engagés à suivre de près l’indexation des surcoûts environnementaux et à promouvoir des chaînes logistiques africaines intégrées. Les États, pour leur part, sont invités à ratifier les Règles de Rotterdam et à intensifier la coopération transfrontalière. Le secrétariat de l’UCCA aura, quant à lui, la charge d’harmoniser les cadres réglementaires et de sensibiliser les acteurs au recours à l’arbitrage commercial international.
Cet agenda traduit l’émergence d’une « responsabilité partagée », concept sociopolitique selon lequel la performance logistique résulte d’interactions entre décideurs publics, opérateurs privés et organisations régionales. Il consacre aussi un certain réalisme : sans infrastructures fiables ni environnement normatif stable, la rhétorique de l’intégration reste lettre morte.
Perspectives congolaises pour un secteur résilient
En accueillant ce conclave, la République du Congo a confirmé son ambition de s’affirmer comme plateforme multimodale d’envergure. Le projet de Maison Transport, porté par le ministère de tutelle, vise à fédérer sous un même toit les fonctions de formation, de régulation et d’innovation logistique. À terme, il devrait consolider la compétitivité du port en eau profonde de Pointe-Noire et irriguer l’ensemble du tissu économique national.
Dans un contexte marqué par la recomposition des routes maritimes mondiales, l’État congolais mise sur un partenariat équilibré avec les entreprises pour bâtir un secteur robuste, résilient aux chocs exogènes et vecteur de diversification économique. Les Journées du chargeur africain viennent ainsi d’offrir une tribune internationale à cette stratégie, tout en rappelant que la réussite du commerce continental dépendra de l’engagement collectif à transformer les recommandations en politiques publiques effectives.