Brazzaville au carrefour d’une introspection sanitaire
Au Palais des congrès de Brazzaville, la rumeur sourde des couloirs témoigne d’une effervescence peu commune. Du 16 au 18 juillet, la deuxième session ordinaire du Conseil national de santé réunit, sous la présidence du ministre Jean Rosaire Ibara, praticiens, économistes, sociologues, représentants d’institutions multilatérales et responsables de la société civile. Institué par le décret n° 84-290, ce Conseil constitue, depuis quatre décennies, le forum par excellence du débat sanitaire national. Si la pandémie de Covid-19 a récemment rappelé l’importance de la résilience des systèmes de santé, c’est aujourd’hui un examen de fond qui s’engage : celui de la gouvernance proprement dite, de sa charpente juridique à son ossature financière.
Le nerf de la guerre : un budget en quête d’amplification
Dans son allocution d’ouverture, le ministre de la Santé a posé sans fard le diagnostic budgétaire. L’effort public consacré à la santé plafonne à 4,2 % du budget général, loin des 15 % recommandés par la Déclaration d’Abuja adoptée en 2001 (Ministère de la Santé, juillet 2024). La trajectoire ascendante des besoins, accentuée par la transition démographique et les impératifs liés à la couverture sanitaire universelle, appelle dès lors à des solutions innovantes. Parmi les pistes évoquées figurent la mobilisation de la responsabilité sociétale des entreprises extractives, la mise en œuvre de partenariats public-privé calibrés sur les standards internationaux et une fiscalité ciblée sur les produits délétères, notamment l’alcool fort et le tabac. Ces recettes additionnelles pourraient, selon les projections préliminaires, accroître de près de 30 % la capacité d’investissement du secteur à l’horizon 2028.
Capital humain : l’équation de la présence médicale rurale
Si l’argent reste vital, le facteur humain ne l’est pas moins. Les dernières enquêtes du ministère révèlent qu’un quart des districts sanitaires pâtit d’un ratio inférieur à cinq médecins pour cent mille habitants, situation particulièrement marquée dans les départements de la Sangha et de la Likouala. Pour inverser cette tendance, les experts réunis à Brazzaville examinent l’idée d’un paquet d’incitations combinant primes d’éloignement, perspectives de carrière accélérée et accès préférentiel à la formation spécialisée. La récente mise en service des hôpitaux généraux de Brazzaville et de Pointe-Noire, ainsi que de dix-huit centres de santé intégrés en zone rurale, constitue une base matérielle solide. Mais comme le rappelle le Dr Vincent Dossou Sodjinou, représentant résident de l’Organisation mondiale de la santé, « un bâtiment sans personnel dûment motivé reste un vœu pieux davantage qu’un service rendu ».
Double charge de morbidité : l’heure des arbitrages scientifiques
Le paysage épidémiologique congolais est désormais caractérisé par une double charge : les maladies transmissibles historiques et la montée des pathologies non transmissibles. Le paludisme, la tuberculose et le VIH-sida demeurent parmi les dix premières causes d’admission hospitalière, tandis que l’hypertension, le diabète et certaines formes de cancer représentent déjà près de 45 % des décès enregistrés. Les travaux du Conseil s’attachent à définir une priorisation intégrée. Les stratégies envisagées reposent sur le renforcement du diagnostic précoce, l’intensification de la pharmacovigilance communautaire et la promotion d’un panier de soins de base uniformisé. Aux yeux de plusieurs intervenants, l’enjeu consiste à articuler prévention et traitement en maintenant une cohérence budgétaire : réduire la charge infectieuse sans laisser s’installer une épidémie silencieuse de maladies métaboliques.
Perspectives de gouvernance : vers un pacte sanitaire renouvelé
La tenue de cette session intervient dans un contexte de réformes plus larges, marqué par la consolidation de la décentralisation et la volonté présidentielle d’accélérer la diversification économique. Dans ce cadre, la santé publique est appréhendée non plus seulement comme un poste de dépense mais comme un investissement social productif. Les recommandations attendues – révision du cadre juridique, mécanismes de financement alternatifs, stratégies de fidélisation du personnel, dispositifs de lutte intégrée contre les maladies – seront transmises au gouvernement pour arbitrage. Les observateurs saluent l’esprit de concertation qui prévaut, gage d’une appropriation collective. Sur les rives du fleuve Congo, l’idée fait son chemin que la construction d’un système résilient procède moins d’un coup de force budgétaire que d’un pacte social pérenne entre pouvoirs publics, secteur privé et communautés locales.
Au terme des échanges, une conclusion s’impose : la République du Congo dispose des leviers techniques et institutionnels pour traduire ses ambitions sanitaires en résultats tangibles. La trajectoire tracée à Brazzaville n’exclut pas les défis, mais elle inscrit la politique de santé dans une dynamique de responsabilité partagée, résolument tournée vers la performance et la justice territoriale. Dans le sillage de la Déclaration d’Abuja, l’engagement renouvelé des autorités apparaît comme une boussole, un rappel que le droit à la santé, loin d’être un slogan, fonde l’espérance d’une nation en mouvement.