De Brazzaville aux gratte-ciel lumineux de Shenzhen
Il y a quelques jours encore, cinq lycéens de Brazzaville et Pointe-Noire accompagnaient le flux matinal des élèves congolais vers des salles de cours souvent dépourvues d’ordinateurs récents. Les voici revenus d’une semaine d’immersion technologique dans le sud de la Chine, sous la houlette experte du programme Unesco-Codemao. Le voyage, conduit par la représentante de l’Unesco au Congo, Fatoumata Barry, s’inscrit dans la lignée d’un premier déplacement effectué l’an passé et témoigne de la permanence d’une coopération académique qui se veut exemplaire.
Shenzhen, incubateur mondial de l’innovation numérique
Longtemps modeste port de pêche, Shenzhen est aujourd’hui le symbole d’une modernité accélérée où fabricants de semi-conducteurs, géants du e-commerce et laboratoires d’intelligence artificielle cohabitent dans un écosystème intensément compétitif. C’est dans ce cadre qu’une équipe d’ingénieurs chinois a introduit les élèves congolais aux arcanes de l’apprentissage automatique, des réseaux neuronaux profonds et de la vision par ordinateur. Les séances, à la fois théoriques et pratiques, ont privilégié la méthode project-based learning, chère aux universités chinoises, afin de stimuler la créativité et la prise d’initiative individuelle.
Un transfert de compétences assorti d’une diplomatie du savoir
Le programme Unesco-Codemao, déployé sur plusieurs pays d’Afrique et d’Asie, poursuit un objectif explicite : renforcer l’employabilité des jeunes dans les filières STEM et réduire la fracture numérique (Unesco 2024). La délégation congolaise a reçu, à l’issue du stage, des certificats officialisant un socle de compétences immédiatement mobilisable. Au-delà de la dimension technique, le séjour a permis de tisser un réseau de pairs avec des participants d’Inde, du Laos et du Kenya, consolidant ainsi la diplomatie éducative chère au multilatéralisme de l’Organisation.
Les enseignants, courroie de transmission pédagogique
Deux professeurs d’informatique, dont Chris Moukana du lycée industriel du Premier-Mai, ont profité d’ateliers consacrés à la programmation visuelle destinée aux enfants. L’enjeu est majeur : adapter ces outils ludiques aux réalités congolaises afin de faire naître, dès le premier cycle secondaire, une culture algorithmique. Au retour, un plan de leçons contextualisé, appuyé par des scénarios concrets — production agricole intelligente, tchèque des données climatiques locales — commence à circuler parmi les inspecteurs de l’enseignement général. La pédagogie, désormais plus expérientielle, promet de transformer les salles de cours en véritables laboratoires d’idées.
Convergence avec la feuille de route numérique nationale
Le Congo-Brazzaville s’est engagé, à travers son Plan national de développement 2022-2026, à bâtir une économie diversifiée, résiliente et numérisée. La récente création d’un Guichet unique de l’entrepreneuriat numérique et le projet de fibre optique Backbone 2 illustrent cette volonté politique. En accueillant, dès la fin de leurs études secondaires, une première élite formée aux standards internationaux de l’IA, Brazzaville sécurise un capital humain susceptible de porter ces chantiers. Les autorités, qui ont soutenu logistiquement la mission Unesco, y voient un levier supplémentaire pour renforcer la souveraineté technologique du pays, sans pour autant s’écarter de ses partenariats traditionnels.
La coopération Sud-Sud, pierre angulaire d’un nouvel humanisme numérique
Dans un contexte géopolitique où le savoir devient une monnaie d’échange stratégique, le dialogue Sud-Sud remet en lumière l’idée d’une mutualisation des ressources intellectuelles sans asymétrie excessive. Pour Pékin, l’initiative s’inscrit dans la continuité des Nouvelles routes de la soie numériques ; pour le Congo, elle conforte le repositionnement du pays comme porte d’entrée d’une Afrique centrale désireuse d’exploiter la révolution 4.0. Les partenaires soulignent a contrario que la circulation des cerveaux doit s’accompagner d’un ancrage local afin d’éviter l’exode des talents.
Vers un écosystème numérique inclusif et durable
Les retombées immédiates du voyage ne se mesurent pas uniquement en lignes de code produites. Selon l’Observatoire africain de l’économie numérique, chaque ingénieur en IA peut générer, à moyen terme, jusqu’à cinq emplois indirects dans des services à plus faible qualification. L’enjeu est donc de faire de ces sept ambassadeurs de retour de Shenzhen les pivots d’un écosystème propice à l’innovation locale : hackathons dans les universités, concours d’applications pour la santé communautaire, mais aussi accompagnement des start-ups incubées à Pointe-Noire TechLab. Le ministère de l’Enseignement technique, conscient des attentes, envisage déjà d’étendre le programme à dix établissements pilotes dès la rentrée prochaine.
Perspectives et maturité d’un partenariat gagnant-gagnant
Il serait prématuré de prédire l’avènement immédiat d’une Silicon Valley congolaise, mais le signal envoyé est clair : le pays se dote progressivement des prérequis humains nécessaires à la transformation numérique. En misant sur une alliance triangulaire Unesco-Congo-Chine, les décideurs brazzavillois diversifient leurs marges de manœuvre, tout en maintenant le cap d’une diplomatie ouverte et pragmatique. À l’heure où l’intelligence artificielle redéfinit les rapports de production, placer la jeunesse congolaise au cœur du processus d’apprentissage apparaît comme une décision à la fois économique, sociale et, in fine, civilisationnelle.