Une nomination aux résonances sociétales
Lorsqu’elle a prêté serment le 6 juin dernier, Grâce Steph Antonétie Ivosso a inscrit son nom dans les annales d’Ouenzé. Pour la première fois depuis la création de cet arrondissement au cœur de Brazzaville, une femme endosse l’écharpe de premier magistrat municipal. Portée à la fonction par décision ministérielle, l’ancienne attachée économique au ministère de l’Intérieur bénéficie d’un parcours administratif salué par ses pairs et par l’Association congolaise des administrateurs territoriaux (ACI).
Au-delà de sa trajectoire personnelle, la symbolique de cette intronisation résonne avec la volonté affichée par les autorités congolaises de promouvoir l’égalité de genre dans la sphère publique. En 2021, le gouvernement avait adopté un plan d’action pour l’autonomisation des femmes qui invite chaque échelon territorial à favoriser la parité. L’investiture de Mme Ivosso apparaît ainsi comme une matérialisation locale d’un cadre normatif national plus large, conformément aux orientations du président Denis Sassou Nguesso qui, lors du Forum national sur la femme de 2022, appelait à « une participation accrue des femmes aux processus décisionnels ».
Conjuguer inclusion et efficacité publique
Dans sa première allocution, la nouvelle édile a placé son mandat sous les auspices de l’inclusion, de la responsabilité et de la promotion des jeunes. « Ouenzé est une grande famille qui ne saurait être fragmentée par les appartenances partisanes ou identitaires », a-t-elle affirmé, invitant la société civile à s’approprier la gestion communale.
Cette posture dialogique tranche avec certaines pratiques historiquement marquées par le clientélisme ou la segmentation ethnique qui ont pu fragiliser la cohésion urbaine. Le sociologue Urbain Massanga estime que « la gouvernance locale se renforce lorsque l’administration se place en médiatrice plutôt qu’en arbitre » (entretien, juillet 2023). De fait, la mairesse mise sur la participation citoyenne via des forums de quartier et la relance des comités de développement locaux, outils institutionnalisés mais parfois en sommeil.
Les défis structurels d’un arrondissement en mutation
Ouenzé se caractérise par une densité de population élevée, un tissu commerçant informel dynamique et une topographie marquée par des zones marécageuses. L’administration compte cent trente-six agents, dont cinquante-six fonctionnaires municipaux et quatre-vingts agents déconcentrés opérant dans des secteurs aussi variés que l’urbanisme, l’hygiène ou la culture. Ce maillage humain illustre à la fois la richesse des compétences disponibles et la nécessité d’une coordination transversale afin d’éviter les doublons.
Dans l’immédiat, les chantiers prioritaires identifiés par la nouvelle équipe portent sur l’assainissement des artères secondaires, la sécurisation des espaces marchands et la gestion cadastrale. Ces objectifs convergent avec le Plan national de développement 2022-2026, qui érige l’amélioration du cadre de vie urbain en axe stratégique. Le ministre de l’Assainissement urbain, Juste Désiré Mondélé, rappelle que « la qualité de nos centres urbains façonne l’attractivité économique du pays », soulignant la place centrale que doit occuper l’arrondissement dans la gouvernance métropolitaine.
Cap sur une gouvernance participative
Pour répondre aux aspirations de proximité exprimées par les citoyens, le cabinet municipal projette la mise en place de permanences mobiles, inspirées d’expériences pilotes menées à Djiri et Talangaï. Cette innovation, adossée à un dispositif numérique de remontée des doléances, devrait renforcer la redevabilité de l’institution. Dans le même temps, la police municipale est appelée à opérer un glissement vers des pratiques de médiation sociale, conformément aux directives du ministère de la Sécurité et de l’Ordre public.
La réussite de ce virage participatif repose cependant sur la capacité de la mairie à sécuriser des financements pérennes. Ouenzé dépend encore largement des recettes de marchés et des taxes de voirie, exposées aux fluctuations conjoncturelles. Les discussions engagées avec la Banque de développement des États d’Afrique centrale laissent entrevoir la création d’un fonds d’investissement local orienté vers les infrastructures de base, condition importante pour transformer les promesses en réalisations tangibles.
Enjeux nationaux et perspectives régionales
La percée de Grâce Steph Antonétie Ivosso intervient alors que plusieurs capitales africaines voient émerger des figures féminines à la tête des collectivités. Ce mouvement régional inscrit le Congo-Brazzaville dans une dynamique continentale de reconnaissance du leadership féminin, observée récemment à Libreville, Kigali ou Freetown. Pour la politologue Léonie Bikindou, « cette montée en puissance des femmes ne relève pas seulement d’une revendication égalitariste ; elle génère aussi de nouvelles formes de gouvernance plus inclusives et moins verticales ».
À moyen terme, l’expérience d’Ouenzé pourrait servir de laboratoire institutionnel pour d’autres arrondissements de Brazzaville et, au-delà, pour les communes de l’intérieur. En mettant l’accent sur la concertation et l’efficacité, la mairesse participe à la consolidation du processus de décentralisation voulu par les autorités nationales depuis la loi n°3-2003 sur l’administration territoriale. Les premiers mois de son mandat seront scrutés tant par les observateurs de la scène politique que par une population avide de résultats concrets. De leur issue dépendra la capacité de l’arrondissement à passer du symbole à la transformation durable.