Brazzaville en quête d’une résilience systémique
Dans la chaleur humide de juillet, l’hôtel de la Concorde de Brazzaville a servi d’agora institutionnelle à une réflexion de haute tenue : comment armer la République du Congo contre la répétition d’événements extrêmes dont les crues de l’Oubangui et du fleuve Congo ont récemment donné la mesure ? Trois journées ont suffi pour sceller la « Stratégie nationale de relèvement post-catastrophes et de préparation aux crises futures 2025-2030 », document qui résulte d’un patient travail entamé en 2021 et mis à jour à la lumière des inondations de 2023-2024. Le gouvernement, par la voix de Mme Carine Ibatta, directrice de l’assistance humanitaire, a rappelé que « l’enjeu n’est plus de savoir si une catastrophe surviendra, mais jusqu’où nous serons prêts ». Cette profession de foi donne le ton : il s’agit de passer d’une logique réactive à une culture de l’anticipation.
Des enseignements tirés des crues successives
L’analyse post-désastre (PDNA) conduite avec l’appui du Programme des Nations unies pour le développement a mis en évidence un coût socio-économique supérieur à 3 % du PIB lors des crues, avec des impacts structurels sur la productivité agricole et la cohésion sociale. Cette lecture fine du terrain a permis d’identifier des zones particulièrement vulnérables, à commencer par les départements de la Likouala et de la Cuvette, où les villages sur pilotis improvisés témoignent d’une résilience populaire encore largement informelle. Les rédacteurs du plan ont donc défendu une approche territorialisée qui conjugue reconstruction d’écoles aux normes parasismiques, renforcement des digues et relance d’activités halieutiques adaptées aux nouveaux régimes hydrologiques.
Un dispositif aligné sur le Cadre de Sendai
Le texte entériné inscrit résolument l’action congolaise dans la doctrine internationale de gestion des risques. Inspiré du Cadre de Sendai 2015-2030, il fixe des jalons précis : système d’alerte précoce multirisques interopérable avec les plateformes de la CEEAC, cartographie numérique des vulnérabilités et maturation d’un fonds d’urgence souverain pour interventions rapides. Joseph Pihi, spécialiste du relèvement au PNUD, souligne que « le Congo opère une bascule stratégique : disposer de capacités domestiques tout en s’appuyant sur un réseau multilatéral qui a déjà fait ses preuves dans la sous-région ». À terme, chaque préfecture devrait disposer d’un centre de crise équipé pour agréger données météorologiques, surveillance sanitaire et informations logistiques.
Financements et gouvernance, les nœuds critiques
Évalué à 156,7 milliards de FCFA pour les deux premières années, le coût du programme fait l’objet d’un montage financier hybride. L’État entend mobiliser environ 40 % des ressources par redéploiement budgétaire, signe d’une volonté politique assumée. Le reste proviendra de contributions multilatérales, d’engagements bilatéraux et de partenariats public-privé. Le Trésor a déjà ouvert une ligne dédiée, tandis que la Banque africaine de développement examine un appui budgétaire ciblé. Les experts insistent néanmoins sur la nécessité d’une architecture de gouvernance robuste. Un secrétariat permanent rattaché à la Primature assurera le suivi-évaluation, avec un tableau de bord semestriel rendu public pour garantir transparence et redevabilité.
Une démarche inclusive au cœur du dispositif
Contrairement aux politiques de reconstruction d’antan, centrées sur les seules infrastructures, la nouvelle stratégie privilégie une lecture sociale du risque. Les femmes, souvent premières touchées par la perte de moyens de subsistance, deviennent actrices de la réponse : groupes de production maraîchère dotés de micro-crédits, formation aux métiers de la maintenance solaire et participation aux comités locaux d’alerte. Les personnes vivant avec un handicap bénéficient de normes d’accessibilité renforcées dans les centres d’hébergement temporaires. Pour les communautés autochtones forestières, il est prévu un mécanisme de plainte simplifié afin de préserver leurs usages coutumiers tout en sécurisant les périmètres de relocalisation.
Un pas supplémentaire vers la souveraineté climatique
Au-delà de la seule gestion des urgences, le texte affirme l’ambition d’inscrire le Congo dans les chaînes de valeur d’une économie bas-carbone. La réhabilitation des routes inclut désormais des matériaux recyclés et des enrobés tièdes, tandis que les digues sont pensées comme corridors écologiques favorisant la régénération des mangroves. Le ministère de l’Énergie a confirmé l’installation pilote de micro-centrales solaires hybrides dans trois hôpitaux de la zone péri-urbaine afin de réduire la dépendance aux groupes électrogènes diesel. Ces choix technologiques s’intègrent à la Contribution déterminée au niveau national (CDN) que le Congo défendra à la prochaine COP.
La diplomatie de la prévention à l’échelle régionale
La stratégie congolaise pourrait faire école auprès des pays voisins régulièrement touchés par les mêmes aléas fluviaux. Brazzaville propose déjà un partage d’expertise à travers le Centre inter-États de veille hydrométéorologique récemment inauguré. Cette dimension coopérative renforce la posture du Congo comme partenaire fiable et moteur d’intégration, en droite ligne avec les orientations du président Denis Sassou Nguesso en matière de stabilité sous-régionale.
Perspectives de mise en œuvre et responsabilité collective
Au soir de la clôture de l’atelier, le représentant résident adjoint du PNUD a salué « un jalon essentiel vers une gouvernance mature des risques ». Les partenaires s’accordent à reconnaître que le défi ne réside plus dans l’élaboration normative mais dans la capacité d’exécution. La présence continue des bailleurs, la réactivité des services déconcentrés et l’implication citoyenne formeront le triptyque de la réussite. En inscrivant la résilience au cœur du contrat social, le Congo se dote d’un outil qui, s’il est mené à bien, permettra non seulement de réparer les dégâts du passé mais aussi d’anticiper ceux d’un climat en mutation rapide.