Aube d’une électrification revisitée
L’annonce, le 15 juillet à Brazzaville, d’un package de 100 millions de dollars accordé par la Banque mondiale pour le Projet d’amélioration des services de l’électricité (Pasel) marque un tournant discret mais décisif dans la trajectoire énergétique congolaise. Moins de deux ans après l’adoption de la stratégie nationale d’accès à l’électricité, les autorités confirment ainsi leur volonté de faire de la fiabilité du courant un accélérateur de développement, condition sine qua non à l’industrialisation prônée par le Plan national de développement 2022-2026.
Renforcement de l’axe Pointe-Noire–Brazzaville
La première composante du Pasel cible la réhabilitation de la dorsale haute tension de 220 kV reliant le littoral à la capitale politique. Cette épine dorsale, dont l’état de vétusté limite l’acheminement d’environ 200 MW vers Brazzaville, sera rénovée sur 130 km et dotée de systèmes statiques dans les postes de Ngoyo, Mboundi et Mbouono. Les ingénieurs prévoient également le remplacement systématique des isolateurs et la modernisation du dispositif SCADA afin d’automatiser surveillance et régulation, un impératif pour sécuriser une charge en constante augmentation.
Distribution : la chasse aux pertes non techniques
Deuxième grand volet, l’amélioration de la performance opérationnelle du segment aval vise la réduction durable des pertes non techniques, estimées à près de 30 % de l’énergie injectée. L’introduction d’un programme de protection des recettes, articulé autour d’une infrastructure de comptage avancée pour les 26 000 clients majeurs – représentant à eux seuls 60 % des ventes – constitue l’outil phare de cette stratégie. La mesure s’inscrit dans une démarche de responsabilisation mutuelle entre fournisseur public et usagers, dans un pays où la facture impayée reste un frein structurel à l’équilibre financier de l’opérateur.
120 000 compteurs intelligents, vecteurs de confiance
La fourniture et l’installation de 120 000 compteurs intelligents chez les particuliers et les administrations dénotent une offensive résolue vers la digitalisation. Outre la précision de la mesure, ces équipements faciliteront la détection des dérivations illicites et offriront au consommateur une lecture quasi temps réel de sa consommation, gage d’un usage plus efficient de l’énergie. Pour l’Énergie électrique du Congo (E2C), l’enjeu est également de disposer de données robustes afin d’ajuster l’offre et planifier les investissements futurs.
Gouvernance et ingénierie institutionnelle
Le troisième pilier du projet concerne le renforcement de la capacité de planification sectorielle et l’appui à la réforme en cours. Les services centraux du ministère de l’Énergie et de l’Hydraulique bénéficieront d’une assistance technique destinée à harmoniser cadre réglementaire, modalités tarifaires et mécanismes de concertation avec les grands consommateurs industriels. Cette démarche, conforme aux recommandations de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, vise une gestion plus transparente et pérenne des infrastructures publiques.
Effets socio-économiques anticipés
Selon les projections du ministère, la remise à niveau du réseau devrait se traduire par une disponibilité énergétique accrue dans les zones urbaines, la libération de capacités pour l’électrification rurale et, à terme, une baisse graduelle du coût de production. Pour la Banque mondiale, qui fait du secteur un levier essentiel de lutte contre la pauvreté, l’impact combiné sur la création d’emplois directs et la compétitivité des PME pourrait se révéler structurant, notamment dans l’agro-transformation et les services numériques.
Regards croisés d’experts
Interrogé en marge du lancement, le consultant en énergie Marc-André Ngabé constate que « la réhabilitation des lignes de 220 kV est un prérequis à toute interconnexion régionale durable », soulignant que le marché de l’électricité d’Afrique centrale reste sous-exploité. De son côté, la sociologue Adèle Goma relève que « l’acceptabilité sociale du compteur intelligent dépendra de la pédagogie tarifaire », invitant à une communication soutenue auprès des quartiers périphériques, où les branchements sauvages traduisent aussi la quête d’un service régulier.
Cap sur une résilience énergétique partagée
En rassemblant modernisation technique, consolidation financière et réforme institutionnelle, le Pasel esquisse une matrice de résilience alignée sur l’Agenda 2063 de l’Union africaine. Au-delà de la seule dimension infrastructurelle, le projet rappelle que la sécurisation de l’approvisionnement électrique, pilier intangible de la souveraineté économique, requiert un continuum d’engagements publics et privés. Les premières mises en service, attendues d’ici 2026, constitueront autant de jalons pour mesurer l’ambition d’un Congo-Brazzaville résolument tourné vers une croissance inclusive, alimentée par un courant enfin stabilisé.