Un rendez-vous stratégique pour l’agroécologie africaine
Diamniadio, la nouvelle cité administrative sénégalaise, accueille du 1er au 5 septembre la quinzième édition du Forum africain des systèmes alimentaires. L’événement rassemble plus de 6 000 participants issus de 80 pays pour scruter l’avenir agricole du continent, encore fragilisé par l’insécurité alimentaire chronique.
Placé sous le thème « Mener la collaboration, l’innovation et la mise en œuvre de la transformation des systèmes », le forum se veut une plateforme opérationnelle où décideurs publics, investisseurs, chercheurs et organisations paysannes exposent leurs retours d’expérience et négocient des partenariats orientés vers des solutions fondées sur la science.
Les enjeux démographiques au cœur du débat
Dans son discours inaugural, le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a rappelé qu’en 2050 l’Afrique comptera 2,5 milliards d’habitants, dont 600 millions de jeunes supplémentaires. « Nous sommes à un tournant décisif », a-t-il insisté, appelant à intégrer la jeunesse dans toutes les politiques agricoles.
Cette projection accroît la pression sur des systèmes alimentaires déjà vulnérables. Or, le continent possède 65 % des terres arables mondiales encore inexploitées, a souligné M. Faye, illustrant la « contradiction » entre potentiel foncier inédit et dépendance aux importations céréalières.
Innovation agricole : pistes concrètes partagées
Robots de désherbage alimentés à l’électricité solaire, variétés de manioc tolérantes à la sécheresse, micro-assurances paramétriques : les délégations nationales ont présenté une mosaïque d’innovations destinées à abaisser le coût de production et à réduire l’empreinte carbone du secteur primaire.
La directrice de l’Alliance pour une Révolution Verte en Afrique, Agnes Kalibata, a relevé que « les solutions existent déjà dans nos laboratoires; le défi est de les diffuser rapidement au dernier kilomètre ». Elle plaide pour des incubateurs régionaux capables de fédérer chercheurs, industriels et coopératives.
La jeunesse congolaise, levier d’une croissance verte
Le Congo-Brazzaville était représenté par la ministre de l’Agriculture, Pauline Ondongo, accompagnée d’une délégation de jeunes agripreneurs distingués lors du Salon national de l’innovation agricole 2023. « Notre ambition est de créer 20 000 emplois verts d’ici 2027 », a-t-elle confié en marge des travaux.
Ces entrepreneurs, issus de start-up numériques spécialisées dans la cartographie hydrologique ou la vente directe de fruits bio, ont détaillé leurs attentes : accès au foncier, crédit bonifié et raccordement énergétique fiable. Les échanges ont mis en évidence la nécessité d’un écosystème propice à la prise de risque.
Financement et partenariats : une dynamique renforcée
La Banque africaine de développement a profité du forum pour annoncer une enveloppe supplémentaire de 300 millions de dollars destinée au programme Technologies pour la Transformation de l’Agriculture en Afrique. L’institution estime que chaque dollar investi génère quatre dollars de valeur ajoutée dans la chaîne alimentaire.
Du côté congolais, la ministre Ondongo a signé une lettre d’intention avec l’entreprise sénégalaise TropiTech visant l’installation d’une unité de biofertilisants à Oyo. Le projet, d’un coût estimé à 4 milliards de francs CFA, mise sur des cofinancements publics-privés.
Climat, résilience et sécurité alimentaire
La variabilité pluviométrique, rendue plus aiguë par le changement climatique, a été relevée comme le principal risque pesant sur les rendements. Paul Kagame, président du Rwanda, a rappelé que « l’adaptation agricole représente notre première ligne de défense contre les chocs climatiques et les tensions géopolitiques ».
Les experts ont mis en avant des modèles de prévision météorologique hyper-localisés et l’extension des systèmes d’irrigation goutte-à-goutte alimentés par l’énergie solaire. Ces outils, déjà testés dans le pool Malebo, pourraient réduire jusqu’à 40 % les pertes post-récolte, selon une étude présentée au forum.
Position du Congo-Brazzaville : priorités et engagements
En séance plénière, la délégation congolaise a réaffirmé l’alignement du Plan national de développement agricole 2022-2026 sur l’Initiative présidentielle pour l’économie verte. Les axes prioritaires portent sur la mécanisation raisonnée, l’agroforesterie et la digitalisation des intrants, autant de leviers censés moderniser 500 000 hectares.
Le gouvernement entend également encourager la contractualisation entre agriculteurs et transformateurs afin de garantir des débouchés stables. Cette orientation, jugée « porteuse d’équité verticale » par le sociologue Pierre Moutou, doit éviter les ruptures d’approvisionnement qui ont marqué la filière manioc durant la saison 2021-2022.
Perspectives régionales après Diamniadio
À l’issue des cinq jours, un plan d’action baptisé Agenda de Diamniadio a été adopté. Il préconise de porter à 10 % la part des budgets nationaux dédiée à l’agriculture résiliente et de doubler, d’ici 2030, les investissements dans la recherche agronomique sur le continent.
Plusieurs capitales, dont Brazzaville, Abidjan et Kigali, accueilleront en 2024 des ateliers de suivi pour décliner les engagements en feuilles de route sectorielles. L’objectif affiché est de présenter un état d’avancement consolidé avant la COP29, prévue l’an prochain en Azerbaïdjan.
Pour Pauline Ondongo, « le forum nous rappelle que souveraineté alimentaire et stabilité macroéconomique sont indissociables ». Elle estime que les nouvelles alliances, conclues dans un esprit de coopération Sud-Sud, contribueront à sécuriser les importations de semences climato-intelligentes tout en stimulant l’emploi rural.
Le rendez-vous de Diamniadio confirme ainsi l’émergence d’un consensus continental : sans système alimentaire robuste et faiblement émissif, l’Afrique ne pourra atteindre ses objectifs de développement durable. Les délégations regagnent leurs capitales avec une feuille de route pragmatique, à la hauteur des attentes démographiques.