Santé et climat : un défi partagé
Quand les routes forestières du bassin du Congo deviennent les couloirs involontaires d’agents pathogènes, la santé des populations se mêle à la protection des écosystèmes. La Banque mondiale vient d’approuver un soutien de 280 millions USD pour réduire ce risque qui survole l’Afrique centrale.
Piloté par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, le programme concerne le Cameroun, la République du Congo, le Tchad et la Centrafrique. Il entend créer une ligne de défense partagée face aux épidémies, aux effets climatiques extrêmes et aux maladies transmissibles de l’animal à l’humain.
Un financement de 280 millions USD pour agir vite
Selon Innocent Nkur, spécialiste santé à la Banque mondiale, l’enveloppe permettra d’acquérir des équipements de laboratoire, de moderniser les centres de surveillance et d’élaborer des plans d’urgence harmonisés. « Nous capitalisons les leçons d’Ebola et de la COVID-19 pour que la réponse soit précoce », souligne-t-il.
Quarante pour cent des ressources iront directement au renforcement des systèmes nationaux congolais, incluant la réhabilitation du Centre hospitalier universitaire de Brazzaville et la création d’une plateforme numérique de notification des alertes. Les marchés seront passés conformément aux standards environnementaux et sociaux de la banque.
Sur les 280 millions, 70 millions seront gérés par le secrétariat de la CEMAC pour financer les actions transfrontalières : standardisation des formulaires de passage aux frontières, exercice annuel de simulation et achat d’ambulances amphibies pour les tronçons fluviaux. Les trois quarts de ces marchés seront ouverts aux PME régionales.
Renforcer la sentinelle épidémiologique
Dans le département de la Sangha, les techniciens de santé n’avaient jusqu’ici qu’un vieux microscope pour identifier le paludisme. Demain, ils disposeront d’un laboratoire mobile capable de diagnostiquer en quatorze heures le virus de Marburg ou la grippe aviaire, réduisant le délai d’isolement des cas suspects.
Un système de surveillance communautaire, déjà expérimenté dans trois villages pilotes, sera étendu à cent localités riveraines du fleuve Congo. Les chefs traditionnels transmettront des données par SMS crypté vers la plateforme régionale, un moyen de repérer précocement les flambées et d’éviter les rumeurs anxiogènes.
Pour le Dr. Nadège Tchicaya, épidémiologiste au ministère congolais de la Santé, « la collecte de données n’a de sens que si elle déclenche une action rapide ». Elle insiste sur la mise en place de stocks tampons de gants, masques et solutions chlorées dans chaque zone sanitaire.
Former une nouvelle génération de spécialistes
Le programme prévoit deux cents bourses d’épidémiologie de terrain, dont soixante pour de jeunes femmes congolaises issues des sciences vétérinaires. L’objectif est de combler l’écart de compétences dans la détection des zoonoses et d’encourager un leadership féminin au niveau des districts.
Une convention signée avec l’Université Marien-Ngouabi devrait permettre la création d’un master bi-pays associé à l’Institut Pasteur de Bangui. Les apprenants alterneront cours, stages en forêt et modélisation de données climatiques, pour mieux comprendre l’influence de la déforestation sur l’émergence de nouveaux virus.
Des communautés au cœur de la riposte
La cheffe du village Doumanga, Pauline Ngbama, rappelle que les peurs se dissipent quand l’information circule. « Nos écoliers apprendront désormais pourquoi il faut signaler toute fièvre et éviter la chasse de certaines espèces en période d’alerte », explique-t-elle, montrant le manuel illustré remis par les formateurs.
Un numéro vert régional sera lancé sous deux mois pour orienter les habitants vers le centre de santé le plus proche ou déclencher une équipe mobile. Les opérateurs téléphoniques Airtel et MTN annoncent la gratuité des appels, une initiative saluée par les organisations de jeunesse.
Synergies avec l’agenda climatique congolais
Les inondations récurrentes à Mossaka ont montré que les crises sanitaires et climatiques s’entrecroisent. L’unité de gestion du projet a d’ailleurs inscrit la lutte contre l’érosion des berges dans ses indicateurs, considérant qu’un dispensaire qui disparaît sous l’eau ne peut servir de base de riposte.
Le ministère de l’Environnement envisage de croiser les cartes d’alarme sanitaire avec les données satellitaires du projet WRI-Global Forest Watch. Cette lecture combinée devrait guider les équipes mixtes santé-forêts pour intervenir simultanément sur un foyer infectieux et une zone critique de déboisement.
Le programme anticipe aussi la monétisation des réductions d’émissions liées à la prévention des brûlis pour l’élimination des déchets biomédicaux. Un pilote de four à pyrolyse sans fumée sera installé à Oyo, avec un potentiel de crédit carbone certifié sur cinq ans, selon le cabinet CarbonEco.
Prochaines étapes et garde-fous
Le décaissement effectif débute en juillet, après validation des plans de passation de marchés et des mécanismes anti-corruption. La Banque mondiale mettra en ligne un tableau de bord public afin que citoyens, journalistes et bailleurs suivent les progrès en temps quasi réel.
Une mission d’évaluation indépendante visitera chaque pays tous les six mois pour vérifier la disponibilité des stocks d’urgence et interroger les bénéficiaires sur la qualité du service.
Pour la République du Congo, ce dispositif représente plus qu’une assurance sanitaire. C’est l’occasion d’affirmer un rôle moteur au sein de la CEMAC, en renforçant la résilience des territoires forestiers face aux menaces sanitaires et climatiques, démarche saluée par les partenaires techniques et l’initiative One Health.